26/06/2021
Travail, salaire, profit
Certains mots sont d’un usage si courant qu’on finit par les utiliser sans en interroger le sens. Comme celui de "travail". En français, le mot travail vient d'un instrument de torture et des douleurs de l'accouchement. En anglais, il signifie création, à partir d'un savoir-faire, ce qui pourrait se traduire en français par ouvrage, qui a donné le mot ouvrier. Dans les années 80, le mot ouvrier a été remplacé par celui d'opérateur : la notion de création a disparu.
On dit à un enfant : "tu vas bien travailler à l'école" pourtant le travail des enfants est interdit. Peut-on parler de travail pour les animaux ? On dit bien "un travail de fourmi".
Un tiers du travail s'effectue en dehors de l'entreprise : s'occuper des enfants, de la cuisine, du ménage... Pourtant ce n'est pas considéré comme un travail, tant qu'on ne reçoit pas de salaire pour le faire. Baby-sitter est un travail, mère au foyer, non. Mais quoi de plus primordial que de se nourrir et d'éduquer un enfant ?
Il est devenu normal et acceptable que le travail pour lequel on est payé soit pénible, ennuyeux voire inutile (la prolifération des bullshit jobs) tandis que le "vrai" travail qui fait sens est peu rémunéré (infirmier, assistante sociale...) voire carrément bénévole (pompier, aides dans les refuges d'animaux, de sans abris, les métiers artistiques... ) : "tu as la chance d'avoir publié un essai, une BD qui t'a rapporté la reconnaissance, la joie d'enseigner ou d'émouvoir et faire rire les autres, tu ne vas pas non plus demander d'être payé pour ça ? Non, si tu veux continuer tes films, fais-le sur ton temps libre non rémunéré et trouve un "vrai boulot" à côté !"
On ne travaille pas en priorité pour un salaire, mais pour un poste qui fait sens pour nous, on veut être reconnu ou se sentir utile. Sinon, personne ne postulerait pour des métiers éreintants et peu rémunérés comme infirmiers hospitaliers. Un ouvrier licencié dira "j'ai donné 20 ans de ma vie à cette boîte." Son travail, c'est sa vie. Les prisonniers préfèrent travailler que de rester dans leur cellule, et leur retirer leur emploi est une sanction administrative. Les gens préfèrent travailler que ne rien faire.
Malheureusement aujourd'hui, les emplois inutiles ou qui ne demandent que quelques heures de travail sur les 35 de présence, les "bullshit jobs" pullulent : des consultants payés grassement pour donner leur avis qui ne sera pas écouté, ou des cadres qui n'ont personne à encadrer, car ils ne connaissent pas la réalité du travail de leurs subalternes, qui se débrouillent seuls (ils se sont passés de leurs chefs pendant le télétravail imposé par le confinement). Des emplois administratifs superflus (désormais, surtout dans le privé, puisqu'on supprime les postes de fonctionnaires).
Ainsi, sur la vingtaine d'emplois que j'ai effectués, j'ai par exemple :
Vérifier des papiers déjà vérifiés, qui seront revérifiés derrière (je ne parle pas de documents nucléaires ultra sensibles, mais de notes de frais de 15 euros pour achats de trombones et stabilos).
Pire encore : dans un autre job, un cadre modifiait un de ses documents papiers avec un stylo : ajoutait un point, déplaçait une virgule, changeait un mot ou un chiffre. Je devais ensuite corriger cette virgule sur le même document, mais par ordinateur, puis l'imprimer, le redonner au cadre, pour qu'il le modifie à nouveau sur la version papier, qu'il me le redonne, pour que je le corrige encore sur l'ordi, que je le réimprime, que je lui redonne, qu'il le remodifie, que je recorrige.. parfois 17 fois. Tel Sisyphe portant son rocher. Pourquoi le responsable ne corrigeait-il pas lui-même son document sur son ordinateur ? Surtout que je ne comprenais pas de quoi il parlait, ces chiffres et termes techniques n'avaient pas de sens pour moi.
Et encore, ces métiers étaient inutiles, mais je travaillais continuellement : je prenais une note de frais, puis une autre, un document à modifier, puis un autre. Je voyais peu le temps passer.
A l'inverse, dans d'autres emplois, je n'avais rien à faire et je comptais les minutes jusqu'à la délivrance. Je faisais acte de présence : accueil debout devant l'entrée d'une école privée, où je devais dire bonjour à chaque parent et élève, parce que selon le directeur, faire le poireau dans le froid, c'était "plus prestigieux et respectueux" que de trôner assise dans ma loge. 20 minutes comme ça à chaque rentrée et sortie de classe, à me péter le dos et les genoux en me tortillant de douleur parce que je ne peux pas rester debout immobile, me sentir humiliée d'avoir chaque regard se poser sur moi, devoir répéter bêtement comme un perroquet "bonjour !" sans recevoir de réponse (un poteau n'est pas censé parler, les chiens lui pissent dessus). Puis rien d'autre à faire que de recevoir les éventuels appels pour les absences d'élèves et prévenir une mère que son gosse était malade pour qu'elle vienne le chercher. Le directeur m'avait interdit de téléphoner aux pères, car ce sont les épouses qui doivent s'occuper des morveux, et il n'était pas rare que les femmes me répondent énervées : "je suis en pleine réunion là, vous pouvez pas appeler son père qui est au chômage ?!!"
J'ai aussi travaillé à l’accueil d'une grande société, où je n'avais personne à accueillir, vu que les employés avaient déjà tous leur badge d'entrée pour passer le portique. J'avais la fonction de plante verte, pour le prestige de la société : "on va la poser là, ça fera joli dans le salon." De quoi l'entreprise aurait-elle eu l'air si personne n'était là pour accueillir un éventuel visiteur, si jamais il avait besoin d'aide pour appuyer sur le bouton de l'ascenseur ?
Sur le sujet actuel de la prolifération des métiers inutiles, qui entraînent dépression et aigreur, je vous conseille fortement le recueil de témoignages du regretté David Graeber : bullshit jobs.
- Travail, salaire, profit Arte.tv, jusqu'au 19/10
15:09 Publié dans On connaît le documentaire, Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : travail, documentaires, bullshit jobs | | Facebook
28/11/2020
Les pires collègues
Suite de la comparaison entre Emily in Paris et Papillote in Paris:
J'ai eu le malheur de quitter ce job génial (relire ici) pour tenter ma chance à Paris. Je me suis retrouvée à bosser pour un magazine féminin, avec des filles aussi hautaines et peu sympas que la cheffe d'Emily. Dans la série, l'héroïne propose à ses collègues de déjeuner ensemble. Chacun prétexte une excuse pour décliner, mais ils se rendent tous ensemble sans elle au restaurant.
Pour moi, c'était pareil. L'été, j'allais manger seule mon sandwich dans le parc comme Emily, l'hiver, je réchauffais mon tupperware au micro-ondes dans la petite salle de pause, pendant que mes collègues se rendaient chaque midi au restaurant et revenaient en gloussant. Mon seul réconfort est venu d'un correcteur, qui a ma énième blague non comprise par les pouffes sans référence, s'est retourné vers moi pour me dire, je me souviens mot pour mot : "mais qu'est ce que tu fais ici, au milieu de ces pintades décérébrées ! T'as un cerveau toi ! t'es intelligente, drôle, fine ! pourquoi tu ne postules pas pour un vrai journal ?"
Comme Emily, les pintades aussi me trouvaient plouc, parce que les premiers jours de travail, on m'a demandé de couvrir un nouveau produit que lançait l'auréole parce que je ne le vaux pas. La promotion se déroulait dans un palace de l'avenue Montaigne, et j'ai demandé innocemment où c'était. Les pouffes ont pouffé, chose qu'elles savaient le mieux faire, et j'ai entendu ensuite les décolorées reparler de ce dialogue en me traitant de "plouc". Oui, je ne connaissais pas encore l'avenue Montaigne, la plus cotée de Paris, avec ses boutiques de luxe, ses palaces donnant sur la tour Eiffel (vue qui m'impressionne peu, je préfère un beau paysage de nature.) Je débarquais de Lyon, donc de la province, donc de la cambrousse pour eux. (Je suis née et j'ai vécu à Lyon hein, 2ème ville de France, même pas en banlieue ou une ville à côté ! Mais tout ce qui n'est pas parisien est "plouc".)
Le pire du mépris, je l'ai rencontré pendant ma longue période de chômage. Inscrite en intérim, je me suis ironiquement retrouvée à bosser pour l'une des marques qui, quand j'étais journaliste, me cirait les bottes, m'invitait à des réceptions chics, me couvrait de cadeaux pour obtenir un article, une pub. Là, je ne faisais qu'un travail de subalterne, de la mise sous pli. C'est tout ce que j'avais trouvé, après 6 mois de chômage non payé suite à un bug informatique de pôle emploi. Pour ce travail, les collègues n'ont pas jugé utile de me céder un bureau. Ni même une chaise. J'ai travaillé assise par terre, à leurs pieds, comme un chien. Ils m'enjambaient en pestant pour pouvoir passer, comme certains évitent un clodo devant l'entrée du monop'.
Les collègues parlaient à côté de moi, sans jamais m'inclure dans leurs conversations, comme si je n'étais pas là. Pourtant, ils évoquaient souvent des films et séries qu'ils avaient vu la veille, et dans les temps anciens, j'étais journaliste ciné, étudiante en cinéma bac +5 et major de promo, mais pour eux, comme désormais, je ne faisais que de la mise sous pli, ma parole ne valait rien. Tous les midis, ils débattaient longuement pour savoir dans quel resto ils allaient manger cette fois-ci "sushi ? ah non on en a déjà fait un mardi!" Quand j'ai demandé naïvement le premier jour si je pouvais les accompagner, on m'a rétorqué qu'il y avait "des distributeurs de sandwichs dans la salle de pause".
Parce qu'ils représentaient des marques de luxe, ils se croyaient au-dessus des autres, comme si leur produit déteignait sur eux. Comme les collègues de la série.
Donc non, Emily in Paris n'est pas si cliché, j'ai connu pire !
à suivre...
16:23 Publié dans On connaît la série, Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : comment supporter ses collègues, travail, pôle emploi, série, emily in paris | | Facebook
26/11/2020
Emily in Paris et les Français glandeurs
Lire le début ici.
Emily débarque dans une agence de marketing de luxe. Les employés sont hautains, la traitent de plouc, commencent à bosser à 10 heures 30 et prennent 3 heures de pause déjeuner à midi. Quand elle essaie de leur imposer une charte de travail américaine, avec des horaires de travail stricts, son collègue lui rétorque "qu'en France, on ne vit pas pour travailler comme les Américains, mais on travaille pour vivre."
J'ai bossé avec des journalistes, des gens de la com et du marketing, et certains ressemblaient à ceux de la série : méprisants, superficiels et glandeurs. Par exemple, dans mon journal, on arrivait à 10 heures. Je lisais l'édition du jour, vérifiant au passage si mes articles avaient été tronqués. Après ma lecture, chacun se rendait à un déjeuner de presse, tout simplement une marque qui offrait un repas somptueux aux journalistes en échange d'un article sur leur produit : c'est à dire une pub. Les déjeuners se déroulaient dans les meilleurs restos de la ville, les plus réputés, les plus chers, aux mets les plus savoureux, et se prolongeaient pendant 3 heures, copieusement arrosés. Je rentrais à la rédaction éméchée vers 16h. J'écrivais mes publi reportages mes articles d'investigation en attendant les prochaines sorties, invitations à des cocktails de promotion le soir, où l'on me couvrait à nouveau d'alcool, de foie gras et de cadeaux.
J'étais épatée par tant de luxe et de chance, mais comble de l'indécence : les journalistes se plaignaient qu'en échange de leur annonce publicitaire, "avant, on leur offrait des vacances d'une semaine". Ils se remémoraient leurs meilleurs souvenirs : "tu te rappelles le séjour en Afrique au club med ?" "et les 15 jours avec les miss France à Tahiti ?" tout se perd, maintenant on a juste le droit à un pauvre déjeuner..."
J'étais estomaquée et quand je protestais qu'on était déjà bien privilégiés, ils riaient de mon innocence (je débutais dans le métier).
Ensuite, j'ai eu le malheur de quitter ce job génial pour tenter ma chance à Paris. Je me suis retrouvée à bosser dans un magazine féminin, avec des filles aussi hautaines et peu sympas que la cheffe dans la série Emily in Paris...
à suivre...
18:08 Publié dans On connaît la série, Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : série, travail | | Facebook
19/08/2020
Travail à la chaîne, fin
Relire le début ici.
Plus que la tâche à accomplir, la coordination avec mes collègues reste la plus difficile. En effet je ne suis pas seule à préparer les colis. Pour emballer ces milliers de cadeaux, je suis accompagnée d'une femme et trois hommes. Ma collègue est timide, un peu enrobée, elle s'essouffle vite, et se noie dans un verre d'eau à défaut de champagne. Elle s'inquiète de ne pas réussir à empiler les cartons correctement pour qu'ils ne tombent pas et prennent moins de place sur le chariot, et surtout peine à les porter. Les hommes en profitent pour se moquer de sa faible condition physique et de ses formes. Moi, ils ne peuvent pas, car je suis svelte et active, mais ils n'hésitent pas à nous fustiger : "vous les femmes". Pour eux, une femme ne peut pas faire ce travail.
Pourtant, ma collègue et moi sommes de loin celles qui triment le plus. Les hommes parlent, mais n'agissent pas. Le boulot n'avance guère. Je propose qu'on se répartisse les tâches. Puisqu'ils sont si forts, ils portent les cartons et poussent les chariots. Puisqu'on est si faibles, qu'on est des femmes au foyer habituées à manipuler la nourriture, ma collègue assemble les colis, et je les remplis. Chacun à une étape de production, chacun son travail, et les vaches et le foie gras seront bien gardés.
Mais les hommes ne peuvent pas s'empêcher de fourrer leur nez partout, critiquer notre travail, mettre leur grain de sel. Ils se mêlent de mes colis : "tu devrais plutôt mettre la bouteille dans ce sens, tiens regarde" et se trompent en installant un deuxième bloc de foie gras là où j'en avais déjà mis un, ce qui fausse les comptes. Ils nous regardent faire, commentent, voire matent (propos déplacés sur mon physique) mais pendant ce temps, les cartons s'entassent et ne sont pas évacués au sous-sol. On perd du temps. Agacée de les avoir dans les pattes, je descends moi-même les colis pour m'évader un peu. Même si je me retrouve dans un entrepôt grisâtre sans fenêtres, je respire mieux loin des propos nauséabonds.
Notre responsable se rend bien compte que les hommes paressent, mais elle n'ose pas leur reprocher. Elle n'est qu'une femme après tout, elle n'a pas à parler, encore moins commander. Que le travail soit effectué par deux personnes ou 5 comme il devait l'être au préalable, tant qu'il est fait et dans les délais, ça ne la dérange pas.
Je descends enfin les derniers cartons (les hommes pendant ce temps sont carrément sortis "faire une pause" depuis une bonne heure) et je me dirige fièrement dans le bureau de la responsable pour annoncer la nouvelle, qu'on débouche le champagne, que je me gave de chocolats et que je reparte avec mon colis de cadeaux. Mais au lieu de la fête escomptée, la responsable vient vérifier (si jamais on avait menti en balançant les produits par la fenêtre ou retapissé la pièce de chocolat fondu et bris de verre : "ras le bol d'emballer des cartons depuis 3 jours, tiens voilà ce que j'en fais de ton foie gras !")
Je lui montre avec fierté la netteté des lieux, en prenant soin de préciser :
- Il reste des produits en trop qu'on n'a pas pu emballer.
- Oui, c'était prévu, la casse, la perte...
- Je vous propose de vous en débarrasser alors, je veux bien les prendre !"
Elle me regarde étonnée, voire choquée : "Mais ! non !"
- On ne peut pas repartir avec les restes au moins ? (mes collègues ne boivent pas d'alcool, je veux bien prendre les bouteilles de champagne !)
- Non, ce n'est pas pour vous, c'est pour les prestataires !
- Mais les produits en trop ?
- On trouvera à qui les donner !"
Mais pas à nous. Pendant 3 jours, je me suis cassée le dos à manipuler des milliers de foie gras, de chocolat, de champagne, j'ai sué sang et eau, j'ai supporté des mâles exécrables, et je n'ai même pas le droit à une pauvre boîte de chocolat qui reste en trop.
J'aurais mieux fait de les planquer et de les bouffer en douce.
16:20 Publié dans Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : travail, pôle emploi, intérim, chômage | | Facebook
12/08/2020
Travail à la chaîne, suite
Lire le début ici.
La personne la plus haut placée que je verrai est une sous-fifre du service marketing, qui m'annonce en quoi va consister le boulot.
Je serai bien dans les locaux prestigieux de la chaîne, je vais bien contacter des journalistes... mais pas directement.
Non, je vais leur adresser... des colis.
Je remplis juste des cartons de cadeaux, à l'approche de noël, pour les principaux annonceurs et partenaires de la chaîne. Je dois installer dans chaque colis une bouteille de champagne, un bloc de foie gras et un ballotin de chocolat.
Des milliers de mets appétissants qui me mettent l'eau à la bouche, que je manipule du matin au soir, sans pouvoir les goûter. A force de les toucher, je connais en détail leur composition. Les différents parfums de chocolat. J'ai hâte de déguster celui fourré au caramel, qui promet d'être fondant à souhait. Celui avec une pointe de poivre noir m'intrigue aussi, quel mélange étonnant, qu'est-ce qu'il peut bien donner ? Quant au foie gras, j'adore ça, je pourrais en manger des kilos. Puis ce plat est forcément associé à la fête, à noël, aux cadeaux, aux moments joyeux de partage. Je sais que le champagne est des plus réputés, même si je ne l'ai jamais goûté, bien trop cher pour ma bourse. Je m'imagine déjà ouvrir une bouteille le dernier jour pour fêter la fin de la mission. Je me vois faire sauter le bouchon avec le petit "pop" caractéristique, verser le précieux liquide sans déborder dans les verres, à part égale, goûter les bulles piquantes, grisantes... J'en ai l'eau à la bouche. Une torture.
Je me console en pensant qu'à la fin de ces 3 jours de labeur, j'aurais ma récompense : on va forcément m'offrir un carton à moi aussi pour me remercier, comme on l'a fait avec un parfum lors d'un précédent travail pour une marque de cosmétiques (un parfum au flacon rose bonbon, qui puait atrocement, d'une valeur de 120 euros ! J'ai essayé de le revendre, en vain : personne n'a envie de sentir le désodorisant pour WC).
J'emballe des milliers de présents, la direction n'est pas à un carton près, elle peut bien m'en offrir un. Avec le fric qu'elle engendre. Au pire, au moins, elle peut me céder un des objets du colis. Une erreur va bien survenir à un maillon de la chaîne, sur des milliers de produits, c'est inévitable : à la commande, un foie gras de trop... au transport, un carton qui s'égare... à la mise en boîte, une bouteille qui se casse, l'oubli d'installer l'un des cadeaux dans le colis...
Je mérite bien cette récompense. Si le travail paraît des plus simples, il est néanmoins fastidieux et physique. Je dois aller chercher les cartons au sous-sol, alors que je travaille en tour, avec un chariot difficile à manipuler. J'assemble les colis, qui se présentent sous la forme de plaque de carton au début, puis j'installe les produits dedans. Une fois les colis emballés, je les empile dans une pièce plus loin, puis les redescends en chariot au sous-sol. Je m'égratigne ou me coupe avec le cutter pour ouvrir et assembler les cartons. Je me fais mal au dos, aux mains, aux articulations et aux genoux en portant des charges lourdes et difficilement maniables (les cartons n'ont pas d'anses, ils glissent entre mes bras, je les retiens comme je peux avec mes genoux). J'ai mal aux poignets à force d'exécuter des gestes répétitifs.
Mais plus que la tâche à accomplir, c'est la coordination avec mes collègues qui reste la plus difficile...
A suivre...
16:26 Publié dans Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : travail, pôle emploi, chômage, intérim | | Facebook
09/08/2020
Travail à la chaîne
Avant de trouver mon job actuel, j'ai beaucoup galéré, avec plusieurs longues périodes de chômage décrites ici ou là, et des lettres de motivation à des annonces farfelues qui restaient sans réponse. Une agence d'intérim finit par me proposer de travailler au sein d'une grande chaîne de télévision française.
Enfin ! Je retrouve un boulot de journaliste ! Je vais pouvoir écrire, analyser, parcourir le monde...
J'ai déjà plein d'idées de sujets d'actualité brûlants :
"Flash spécial. Papillote est en train de cuire, thermostat 8, chaleur tournante. En attente de vos dons pour financer sa retraite anticipée en Bretagne"
Des enquêtes choc :
"Dans l'enfer du confinement. Papillote en expédition chez le voisin du dessus pour stopper le massacre des Rollings Stones à la guitare"
Des révélations :
"Mon chat me suit partout et ramène sa baballe. En réalité, c'est un chien".
Subjugué par mon charme et ma vivacité, on me proposera directement la présentation du JT de 20 heures, ou de partir en reportage au bout du monde pour animer une émission de découverte des plats du pays ("l'estomac sur pattes a testé pour vous")
Mais lors de ce travail, je ne verrai que le hall du bâtiment, une salle vide et un sous-sol.
Des employés de la chaîne, je ne verrai que le personnel de sécurité, d’accueil et de ménage. Je doute qu'ils aient accès à quelqu'un pouvant me refiler un travail intéressant. Peut-être si je retrouve la personne qui nettoie les bureaux des responsables, et lui demande de me laisser vérifier le contenu de leurs poubelles, avec des papiers confidentiels ? "Donnez-moi un bon poste ou je révèle à tout le monde le salaire de votre animateur vedette, que votre reportage est bidonné avec un faux témoin et que vous harcelez sexuellement votre assistante !"
La personne la plus haut placée que je verrai est une sous-fifre du service marketing, qui m'annonce en quoi va consister mon travail.
Je serai bien dans les locaux prestigieux, je vais bien contacter des journalistes... mais pas directement.
à suivre...
15:38 Publié dans Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : travail, pôle emploi, chômage | | Facebook
02/08/2020
Embauchez-moi, vous ne le regretterez pas : Lagaffe à la photocopieuse
Suite de mes exploits dans le monde merveilleux du travail.
J'ai exercé beaucoup d'emplois à titre énigmatique et fourre-tout, comme "chargée de mission".
Terme pompeux qui m'évoquais le prophète qui part prêcher la bonne parole, main sur le cœur, prêt à illuminer les foules, changer les mentalités, la face du monde... Mais qui consistait en réalité à... faire des photocopies. Or, les machines et mémé nulle en nouvelles technologies ne sont pas amies. Je vous rappelle que dès que je touche l'imprimante au boulot, elle tombe en panne, et qu'un témoin de l'incident m'a annoncé : "je suis magnétiseur. Vous avez un fluide qui perturbe les machines". Et pour couronner le tout, je suis daltonienne.
Coller Gastonne Lagaffe à la photocopieuse était donc un pari risqué. J'étais une vraie calamité. A imprimer à l'envers, sur une feuille rose quand on me demandait jaune, en 3 exemplaires quand on m'en demandait 2 et inversement. Je devais faire des tonnes de photocopies et à moi seule j'étais responsable de la déforestation de Fontainebleau. Pour m'y retrouver, J'étalais mes tas de papiers autour de la photocopieuse, donc dans le couloir, et les passants faisaient voler mes feuillets dans tous les sens.
Le bourrage papier était mon ennemi juré, je déboulonnais la machine en pestant, couverte d'encre, à plat ventre par terre : "mais il est où ce fichu tiroir A4?!"
Alors plutôt que de gaspiller honteusement des milliers de feuilles et d'arbres pour rien, j'ai proposé d'envoyer les formulaires par mail. (Version officielle : pour l'environnement. Version officieuse : je ne sais pas faire fonctionner une photocopieuse).
Puis j'ai découvert qu'au même étage se trouvait le responsable du magazine interne de l'entreprise. Comme j'avais bossé comme journaliste, j'ai proposé mes services. Bref, de simple boulot de photocopie, je me suis retrouvée relectrice, correctrice puis rédactrice. Le collègue était content, il pouvait glander pendant que je faisais son taf, et moi j'étais contente de faire un travail qui m'intéressait plus que celui pour lequel j'étais embauchée au départ, et pour lequel j'étais bien plus compétente.
Après je vous rassure, je reste une Gastonne : si j'ai la chance d'occuper un bureau privé avec accès à internet, je passe du temps à dormir surfer, mais pour les boulots en open space et sans ordi, je suis bien obligée de bosser, alors tant qu'à faire, autant faire un job qui m'intéresse. Pour ne pas devenir zinzin ou aigrie, j'ai besoin de faire un travail qui a du sens pour moi.
A suivre...
16:15 Publié dans Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : travail, gaston lagaffe, pole emploi | | Facebook
04/07/2020
Embauchez-moi, vous ne le regretterez pas
Avant de trouver ma planque mon job actuel qui me convient bien (faudrait juste supprimer les collègues. Et les clients. Juste me payer pour ma présence quoi) j'ai non seulement été affectée à des postes sans intérêt pour moi (aucune créativité), mais souvent aussi, parfaitement inutiles. La plupart du temps, je jouais le rôle d’intermédiaire entre deux personnes qui auraient pu communiquer directement. Ou je recopiais sur ordinateur des textes techniques incompréhensibles, écrits à la main par des types qui avaient la flemme d’allumer leur PC ou d’apprendre à s’en servir. Ou j’accueillais des gens dans un lieu où personne ne se présentait.
Plus précisément, pour un de ces jobs, je vérifiais des données, et ma vérification était ensuite revérifiée au grade supérieur.
"j'ai vérifié ce qu'il a fait, c'est bon"
"j'ai vérifié ce qu'elle a vérifié, c'est bon."
Je ne parle pas d'informations d'importances capitales, d'erreur de calcul qui provoquerait une explosion nucléaire et imposerait une double vérification. Non, je vérifiais bien des calculs, mais de notes de frais. Pas les notes de frais du grand président de l'entreprise, celles-ci restaient hautement confidentielles, interdiction formelle de regarder pour les subalternes. (Evidemment, quand j'étais tombée dessus, j'avais bravé l'interdit, fait des clichés comme preuve et tout envoyé au Canard Enchaîné pour dénoncer le scandale. Non je rigole. Je n'avais pas encore d'appareil photo sur le téléphone à l'époque, j'avais "juste" recopié les sommes honteusement exorbitantes à la main et en avait parlé à tout mon entourage).
Je m'occupais simplement du gars en déplacement qui voulait se faire rembourser son pauvre sandwich sncf aussi épais que moi ou Renaud. Effectivement, il faut bien une note comme preuve pour justifier les 6 euros pour un bout de pain de mie industriel agrémenté d'une rondelle de tomate et d'un lardon. Mais deux personnes pour valider un sandwich, c'est inutile. J'ai mis les pieds dans le sandwich le plat d'entrée :
"à quoi on sert si quelqu'un vérifie encore au-dessus de nous ? Ils nous pensent assez cons pour ne pas savoir lire un chiffre ? Faut un référendum auprès de tous les Français pour valider une note à 6 euros ?"
Mon collègue qui me présentait fièrement son travail s'est ratatiné. Il m'apprend alors qu'il fait ce job depuis...25 ans et il a l'air de découvrir son inutilité. 25 ans dans le déni à s'imaginer en indispensable maillon de la chaîne, puis une gamine qui n'était même pas née quand il a débuté lui enlève ses illusions, sa joie de vivre dès sa première heure de travail. Il a passé les 6 mois suivants (avant que je parte à la fin de mon contrat en ayant refusé le CDI qu'on me proposait) caché derrière un véritable mur de notes de frais, qu'il ne s'embêtait même plus à vérifier, démoralisé.
Si vous voulez motiver vos troupes, embauchez-moi !
à suivre...
17:06 Publié dans Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : travail, bullshit jobs, comment supporter ses collègues de bureau | | Facebook
30/06/2020
Le cactus, suite
Je réponds en tout point à la description du cactus donné par Corinne Maier. Une collègue correspond elle à la définition du pleutre hypocrite, qui refuse de prendre position, de dénoncer les abus pour améliorer les choses, et qui n'hésite pas à copiner avec des collègues toxiques qui peuvent apporter des faveurs. Elle me conseillait de faire semblant de m'intéresser aux décérébrés, mais ensuite, se plaignait d'avoir "l'impression de ne plus faire travailler son cerveau et de stagner". Oui, à force d'écouter en boucle les récits de pouffiasses en virée à Zara et des gastros du merdeux de sa cheffe, on perd ses neurones. Je préfère passer mes pauses avec mon bouquin.
Après deux années de lutte, j'ai finalement réussi à faire sanctionner le monstre qui empoisonnait le service. Je pensais fêter cette victoire avec les autres collègues harcelés en sabotant le pot de départ du démon, mais le confinement en a décidé autrement. Je n'ai même pas pu lui dire adieu en versant du laxatif dans son mousseux et en lui préparant un beau discours ("Chère grognasse. Tes insultes et cris quotidiens vont tellement nous manquer...")
J'ai également enfilé ma cape de justicière lors d'une énième formation à la con, en disant au formateur tout haut ce que nous les "formatés" ressassions tout bas : "Pourquoi on doit se taper des formations inutiles comme ça ? Je suis ici depuis 3 ans, à part (truc et muche) vous nous avez rien appris. On a passé 2 jours à vous écouter alors que ça aurait pu durer 2 heures ! La première matinée entière à nous demander de nous présenter ? On ne se connait pas, on ne se reverra pas, quel intérêt à part perdre du temps et justifier la durée et le coût exorbitant de votre formation ?"
Encouragés par ma diatribe, les formatés ont surenchéri et le formateur à la con a passé un sale quart d'heure. A la fin, une femme m'a prise à part. Elle m'apprend qu'elle est l'une des dirigeantes de l'entreprise, responsable des missions de formation. Vous pensez peut-être qu'elle m'a reproché ma virulence ? Absolument pas. A mon grand étonnement, elle était... admirative ! Pourtant, c'est elle qui avait contribué à employer ce formateur sans intérêt. Je pense que cadre sup, elle s'ennuyait dans son boulot vide de sens, à organiser des réunions et des formations inutiles, à pratiquer la langue de bois en permanence. Et quelqu'un qui osait dénoncer ce système lui apportait une bouffée d'air frais. Elle m'a cependant conseillé d'y rentrer à pieds joints : "mais pourquoi vous restez à ce statut si peu élevé avec vos capacités, les études que vous avez faites ? Vous pourriez passer des concours catégories A !"
Déjà, 10 postes dans toute la France pour 10 000 postulants, c'est beaucoup de boulot, de mémo à apprendre par coeur comme un chien savant, pour peu de chance de réussite. J'ai essayé de passer un concours à mes débuts encore optimistes dans l'entreprise : on m'a carrément dit pendant l'oral que j'étais "trop diplômée pour le poste, que j'allais m'ennuyer et partir 6 mois après !" Même si je valide le concours, je devrais quitter ma boîte, dont le principal intérêt est d'être à 5 minutes à pied de chez moi. (Inconvénient : je ne peux pas prétexter des problèmes de transports pour mes retards).
Ensuite, je ne veux justement pas faire partie du système ! J'ai la chance de ne pas être intégrée à une équipe, de ne pas avoir de compte à rendre, de ne pas avoir de chef sur le dos qui m'infantilise, me compare à mes collègues pour augmenter les cadences et créer des conflits et jalousies. Personne ne sait exactement ce que je fais ni même où je suis (on se déplace beaucoup dans les locaux). Et là, on me conseille de monter en grade, pour avoir un bureau fixe en open space, être surveillée en permanence ? Non merci. Je préfère nettement travailler moins pour gagner moins, et en réalité gagner plus : du temps pour moi et les vraies choses importantes de la vie (manger, dormir...). Evidemment si mon boulot consistait à trouver un vaccin contre le cancer de la connerie, j'y consacrerais 70 heures par semaine, mais un "bullshit job" qui peut être effectué par n'importe quel abruti... Non, le boulot, y en a pas beaucoup, faut le laisser à ceux qui aiment ça.
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27/06/2020
Le cactus
Le monde entier est un cactus
il est impossible de s'asseoir
Dans la vie, il y a que des cactus
Moi je me pique de le savoir
J'ai commencé jeune ma vocation de glandeuse mauvais esprit en prenant comme modèle Gaston Lagaffe, puis ado en lisant le cultissime Le droit à la paresse de Paul Lafargue. J'engloutis les récits et documentaires sur le travail (Libre et assoupi, ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés, L'open space m'a tuer, Malaise au travail, le harcèlement moral). Je savais que j'allais subir ce qui étaient décrits dans ces oeuvres sans même avoir encore commencé à trimer.
Je relis pour la troisième fois Bonjour paresse après l'avoir prêté à une personne indigne de le lire et comprendre. Pourtant, Corinne Maier (dont j'ai lu quasiment tous les livres, comme le génial No kid) me prévient dès l'introduction :
"Avertissement : ami individualiste, passe ton chemin
Toi l'individualiste, mon frère d'armes et de coeur, ce livre ne t'est pas destiné, car l'entreprise n'est pas pour toi. Le travail dans les grandes sociétés ne sert qu'à menotter l'individu qui, laissé à lui-même, se servant de son libre entendement, pourrait se mettre à réfléchir, à douter, voire, qui sait, à contester l'ordre ! Et cela, ça n'est pas possible. Si l'individu se trouve parfois porteur d'idées nouvelles, il ne faut à aucun prix que celles-ci dérangent le groupe. Il est clair que dans un monde où il est conseillé d'être souple, bien vu de changer son fusil d'épaule toutes les cinq minutes et en rythme avec les autres, l'individualiste est brandon de discorde. Aussi, on lui préfère le pleutre, le mièvre, l'obéissant, qui courbe le dos, joue le jeu, se coule dans le moule et, finalement, réussit à faire son trou sans faire de vagues.
Or non seulement notre sauvageon individualiste est incapable de faire comme les autres, mais quand en plus il a des idées arrêtées, il renâcle au compromis : il inspire donc légitimement la méfiance. Les DRH le voient venir de loin: raideur, obstination, entêtement, sont les qualificatifs qui fleurissent dans son dossier à la rubrique graphologie. Et cela, ne pas savoir se plier, c'est moche; moche de sortir du travail dès sa tâche de la journée accomplie; moche de ne pas participer au pot de fin d'année, à la galette des rois, de ne pas donner pour l'enveloppe du départ en retraite de Mme Michu; moche de rentrer à l'hôtel en trombe dès la réunion terminée avec les partenaires; moche de repousser le café proposé pendant la pause-café, d'apporter sa gamelle alors que tout le monde déjeune à la cantine.
Ceux qui se comportent ainsi sont considérés par leurs collègues comme des cactus de bureau car la convivialité est exigée, sous forme de pots, de blagues convenues, de tutoiements et de bises hypocrites (toutes choses à simuler sous peine d'exclusion).
Mais peut-être nos plantes rugueuses ont parfaitement compris quelle était la limite à ne pas franchir entre le travail et la vie personnelle. Peut-être ont-elles réalisé qu'être tout le temps disponible pour une succession invraisemblable de projets, dont la moitié sont complètement idiots et l'autre moitié mal emmanchés, c'est à peu près comme changer de partenaire sexuel 2 fois par an : quand on a 20 ans, la chose peut avoir son charme mais, au fil des années, cela finit par devenir franchement une corvée."
Je réponds en tout point à la description du cactus donné par l'autrice.
Suite demain
16:16 Publié dans On connaît le livre, Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : travail, chômage, comment supporter ses collègues | | Facebook