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28/11/2020

Les pires collègues

emily travail.jpgSuite de la comparaison entre Emily in Paris et Papillote in Paris:
J'ai eu le malheur de quitter ce job génial (relire ici) pour tenter ma chance à Paris. Je me suis retrouvée à bosser pour un magazine féminin, avec des filles aussi hautaines et peu sympas que la cheffe d'Emily. Dans la série, l'héroïne propose à ses collègues de déjeuner ensemble. Chacun prétexte une excuse pour décliner, mais ils se rendent tous ensemble sans elle au restaurant.

Pour moi, c'était pareil. L'été, j'allais manger seule mon sandwich dans le parc comme Emily, l'hiver, je réchauffais mon tupperware au micro-ondes dans la petite salle de pause, pendant que mes collègues se rendaient chaque midi au restaurant et revenaient en gloussant. Mon seul réconfort est venu d'un correcteur, qui a ma énième blague non comprise par les pouffes sans référence, s'est retourné vers moi pour me dire, je me souviens mot pour mot : "mais qu'est ce que tu fais ici, au milieu de ces pintades décérébrées ! T'as un cerveau toi ! t'es intelligente,  drôle, fine ! pourquoi tu ne postules pas pour un vrai journal ?"

comment supporter ses collègues, travail, pôle emploi, série, emily in parisComme Emily, les pintades aussi me trouvaient plouc, parce que les premiers jours de travail, on m'a demandé de couvrir un nouveau produit que lançait l'auréole parce que je ne le vaux pas. La promotion se déroulait dans un palace de l'avenue Montaigne, et j'ai demandé innocemment où c'était. Les pouffes ont pouffé, chose qu'elles savaient le mieux faire, et j'ai entendu ensuite les décolorées reparler de ce dialogue en me traitant de "plouc". Oui, je ne connaissais pas encore l'avenue Montaigne, la plus cotée de Paris, avec ses boutiques de luxe, ses palaces donnant sur la tour Eiffel (vue qui m'impressionne peu, je préfère un beau paysage de nature.) Je débarquais de Lyon, donc de la province, donc de la cambrousse pour eux. (Je suis née et j'ai vécu à Lyon hein, 2ème ville de France, même pas en banlieue ou une ville à côté ! Mais tout ce qui n'est pas parisien est "plouc".)

Le pire du mépris, je l'ai rencontré pendant ma longue période de chômage. Inscrite en intérim, je me suis ironiquement retrouvée à bosser pour l'une des marques qui, quand j'étais journaliste, me cirait les bottes, m'invitait à des réceptions chics, me couvrait de cadeaux pour obtenir un article, une pub. Là, je ne faisais qu'un travail de subalterne, de la mise sous pli. C'est tout ce que j'avais trouvé, après 6 mois de chômage non payé suite à un bug informatique de pôle emploi. Pour ce travail, les collègues n'ont pas jugé utile de me céder un bureau. Ni même une chaise. J'ai travaillé assise par terre, à leurs pieds, comme un chien. Ils m'enjambaient en pestant pour pouvoir passer, comme certains évitent un clodo devant l'entrée du monop'.

Les collègues parlaient à côté de moi, sans jamais m'inclure dans leurs conversations, comme si je n'étais pas là. Pourtant, ils évoquaient souvent des films et séries qu'ils avaient vu la veille, et dans les temps anciens, j'étais journaliste ciné, étudiante en cinéma bac +5 et major de promo, mais pour eux, comme désormais, je ne faisais que de la mise sous pli, ma parole ne valait rien. Tous les midis, ils débattaient longuement pour savoir dans quel resto ils allaient manger cette fois-ci "sushi ? ah non on en a déjà fait un mardi!" Quand j'ai demandé naïvement le premier jour si je pouvais les accompagner, on m'a rétorqué qu'il y avait "des distributeurs de sandwichs dans la salle de pause". 
Parce qu'ils représentaient des marques de luxe, ils se croyaient au-dessus des autres, comme si leur produit déteignait sur eux. Comme les collègues de la série.
Donc non, Emily in Paris n'est pas si cliché, j'ai connu pire !

à suivre...

 

30/06/2020

Le cactus, suite

gaston cactus 2.jpgJe réponds en tout point à la description du cactus donné par Corinne Maier. Une collègue correspond elle à la définition du pleutre hypocrite, qui refuse de prendre position, de dénoncer les abus pour améliorer les choses, et qui n'hésite pas à copiner avec des collègues toxiques qui peuvent apporter des faveurs. Elle me conseillait de faire semblant de m'intéresser aux décérébrés, mais ensuite, se plaignait d'avoir "l'impression de ne plus faire travailler son cerveau et de stagner". Oui, à force d'écouter en boucle les récits de pouffiasses en virée à Zara et des gastros du merdeux de sa cheffe, on perd ses neurones. Je préfère passer mes pauses avec mon bouquin.
Après deux années de lutte, j'ai finalement réussi à faire sanctionner le monstre qui empoisonnait le service. Je pensais fêter cette victoire avec les autres collègues harcelés en sabotant le pot de départ du démon, mais le confinement en a décidé autrement. Je n'ai même pas pu lui dire adieu en versant du laxatif dans son mousseux et en lui préparant un beau discours ("Chère grognasse. Tes insultes et cris quotidiens vont tellement nous manquer...")

J'ai également enfilé ma cape de justicière lors d'une énième formation à la con, en disant au formateur tout haut ce que nous les "formatés" ressassions tout bas : "Pourquoi on doit se taper des formations inutiles comme ça ? Je suis ici depuis 3 ans, à part (truc et muche) vous nous avez rien appris. On a passé 2 jours à vous écouter alors que ça aurait pu durer 2 heures ! La première matinée entière à nous demander de nous présenter ? On ne se connait pas, on ne se reverra pas, quel intérêt à part perdre du temps et justifier la durée et le coût exorbitant de votre formation ?"

gaston balançoire.jpgEncouragés par ma diatribe, les formatés ont surenchéri et le formateur à la con a passé un sale quart d'heure. A la fin, une femme m'a prise à part. Elle m'apprend qu'elle est l'une des dirigeantes de l'entreprise, responsable des missions de formation. Vous pensez peut-être qu'elle m'a reproché ma virulence ? Absolument pas. A mon grand étonnement, elle était... admirative ! Pourtant, c'est elle qui avait contribué à employer ce formateur sans intérêt. Je pense que cadre sup, elle s'ennuyait dans son boulot vide de sens, à organiser des réunions et des formations inutiles, à pratiquer la langue de bois en permanence. Et quelqu'un qui osait dénoncer ce système lui apportait une bouffée d'air frais. Elle m'a cependant conseillé d'y rentrer à pieds joints : "mais pourquoi vous restez à ce statut si peu élevé avec vos capacités, les études que vous avez faites ? Vous pourriez passer des concours catégories A !"

Déjà, 10 postes dans toute la France pour 10 000 postulants, c'est beaucoup de boulot, de mémo à apprendre par coeur comme un chien savant, pour peu de chance de réussite. J'ai essayé de passer un concours à mes débuts encore optimistes dans l'entreprise : on m'a carrément dit pendant l'oral que j'étais "trop diplômée pour le poste, que j'allais m'ennuyer et partir 6 mois après !"  Même si je valide le concours, je devrais quitter ma boîte, dont le principal intérêt est d'être à 5 minutes à pied de chez moi. (Inconvénient : je ne peux pas prétexter des problèmes de transports pour mes retards).

travail,comment s'amuser au travail,comment supporter ses collèguesEnsuite, je ne veux justement pas faire partie du système ! J'ai la chance de ne pas être intégrée à une équipe, de ne pas avoir de compte à rendre, de ne pas avoir de chef sur le dos qui m'infantilise, me compare à mes collègues pour augmenter les cadences et créer des conflits et jalousies. Personne ne sait exactement ce que je fais ni même où je suis (on se déplace beaucoup dans les locaux). Et là, on me conseille de monter en grade, pour avoir un bureau fixe en open space, être surveillée en permanence ? Non merci. Je préfère nettement travailler moins pour gagner moins, et en réalité gagner plus : du temps pour moi et les vraies choses importantes de la vie (manger, dormir...). Evidemment si mon boulot consistait à trouver un vaccin contre le cancer de la connerie, j'y consacrerais 70 heures par semaine, mais un "bullshit job" qui peut être effectué par n'importe quel abruti... Non, le boulot, y en a pas beaucoup, faut le laisser à ceux qui aiment ça.

 

27/06/2020

Le cactus

travail,chômage,comment supporter ses collèguesLe monde entier est un cactus
il est impossible de s'asseoir
Dans la vie, il y a que des cactus
Moi je me pique de le savoir

J'ai commencé jeune ma vocation de glandeuse mauvais esprit en prenant comme modèle Gaston Lagaffe, puis ado en lisant le cultissime Le droit à la paresse de Paul Lafargue. J'engloutis les récits et documentaires sur le travail (Libre et assoupi, ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés, L'open space m'a tuer, Malaise au travail, le harcèlement moral). Je savais que j'allais subir ce qui étaient décrits dans ces oeuvres sans même avoir encore commencé à trimer.

Je relis pour la troisième fois Bonjour paresse après l'avoir prêté à une personne indigne de le lire et comprendre. Pourtant, Corinne Maier (dont j'ai lu quasiment tous les livres, comme le génial No kid) me prévient dès l'introduction :
"Avertissement : ami individualiste, passe ton chemin
Toi l'individualiste, mon frère d'armes et de coeur, ce livre ne t'est pas destiné, car l'entreprise n'est pas pour toi. Le travail dans les grandes sociétés ne sert qu'à menotter l'individu qui, laissé à lui-même, se servant de son libre entendement, pourrait se mettre à réfléchir, à douter, voire, qui sait, à contester l'ordre ! Et cela, ça n'est pas possible. Si l'individu se trouve parfois porteur d'idées nouvelles, il ne faut à aucun prix que celles-ci dérangent le groupe. Il est clair que dans un monde où il est conseillé d'être souple, bien vu de changer son fusil d'épaule toutes les cinq minutes et en rythme avec les autres, l'individualiste est brandon de discorde. Aussi, on lui préfère le pleutre, le mièvre, l'obéissant, qui courbe le dos, joue le jeu, se coule dans le moule et, finalement, réussit à faire son trou sans faire de vagues.

travail,chômage,comment supporter ses collèguesOr non seulement notre sauvageon individualiste est incapable de faire comme les autres, mais quand en plus il a des idées arrêtées, il renâcle au compromis : il inspire donc légitimement la méfiance. Les DRH le voient venir de loin: raideur, obstination, entêtement, sont les qualificatifs qui fleurissent dans son dossier à la rubrique graphologie. Et cela, ne pas savoir se plier, c'est moche; moche de sortir du travail dès sa tâche de la journée accomplie; moche de ne pas participer au pot de fin d'année, à la galette des rois, de ne pas donner pour l'enveloppe du départ en retraite de Mme Michu; moche de rentrer à l'hôtel en trombe dès la réunion terminée avec les partenaires; moche de repousser le café proposé pendant la pause-café, d'apporter sa gamelle alors que tout le monde déjeune à la cantine.

Ceux qui se comportent ainsi sont considérés par leurs collègues comme des cactus de bureau car la convivialité est exigée, sous forme de pots, de blagues convenues, de tutoiements et de bises hypocrites (toutes choses à simuler sous peine d'exclusion).
Mais peut-être nos plantes rugueuses ont parfaitement compris quelle était la limite à ne pas franchir entre le travail et la vie personnelle. Peut-être ont-elles réalisé qu'être tout le temps disponible pour une succession invraisemblable de projets, dont la moitié sont complètement idiots et l'autre moitié mal emmanchés, c'est à peu près comme changer de partenaire sexuel 2 fois par an : quand on a 20 ans, la chose peut avoir son charme mais, au fil des années, cela finit par devenir franchement une corvée."

Je réponds en tout point à la description du cactus donné par l'autrice.
Suite demain

 

 

 

 

09/12/2019

J'ai dans la tête un transistor qui fredonne

chanson française, travail, comment supporter ses collèguesLa dernière manifestation de ma maladie incurable au travail (relire ici) me fait penser à ce billet initialement publié en 2012, concernant un autre job, mais toujours d'actualité :
"Dans mon boulot inintéressant, je dois enregistrer à la chaîne des données, et le nom des gens auxquels elles sont rattachées. (actualisation 2019 : contrairement à l'ancien taf où je trimais sans interruption, dans ce dernier je suis relativement libre. Le boulot en lui-même n'est pas passionnant mais il a l'immense mérite de me laisser du temps pour des activités intéressantes : lire, écrire, dormir). 
Dans l’open space (m’a tuer), le bruit des ordinateurs est parfois interrompu par des soupirs de collègues désabusés, comptant les minutes passer. (2019 : certains collègues soufflent toujours d'ennui : ils ne profitent pas des temps morts, ils attendent les bras ballants qu'une mission leur tombe dessus.)

Très vite, ma maladie incurable se manifeste.
Atteinte au plus haut degré, je ne m’en rends pas compte immédiatement. Je ne comprends pas d’où proviennent les symptômes, pourquoi ils persistent au fil des heures.
Les signes empirent les jours suivants. Cette fois, ils sont visibles pour mes collègues. Ou plutôt audibles.
Mes compagnons de misère commencent à me jeter des regards fugaces et étonnés. Une fille pouffe.
Et je saisis enfin.
Il vaut mieux parler ouvertement de ses problèmes. Alors, comme aux alcooliques anonymes, je fais mon mea culpa. Ma collègue m’explique que ce n’est pas une tare, au contraire. (Actualisation 2019 : mes nouveaux collègues, esprits chagrins, n'apprécient pas.)
Me voyant encouragée, je ne cherche plus à cacher mon infirmité, je la laisse se développer, au plus grand plaisir de ma collègue compréhensive et bon public. (En 2019, mise au rebut par ma maladie, je m'isole.)

Tout a commencé par une pensée persistante : « oh, fini, fini pour moi ».
Ce boulot me déprime t-il tant ? Ou alors j’espère simplement la fin de la journée ?
Les symptômes se poursuivent avec : « Moi j’attendais la récré pour aller au café boire un chocolat »
Oui ça doit être ça, j’ai besoin d’une pause dans ce travail répétitif.
« Je voudrais partir avec vous tout au bout du ciel, sur vos ailes »
La récré est vraiment nécessaire, je ne vais pas bien.
« De vague à l’âme en terrain vague, tu divagues ! »
Oui, je divague complètement. Mais que m’arrive-t-il ?

Je laisse s’échapper des sons bizarres, incompréhensibles. Des marmonnements, des plaintes, des murmures de souffrance face à ce travail ingrat ? 
Non : ma chansonnite aiguë atteint son apogée. Tous ces prénoms inscrits sur les dossiers me rappellent des mélodies, qui me restent en tête et que je sifflote pendant des heures. Une maladie incurable, mais pas bien grave. « Ça vaut mieux que d’attraper la scarlatine, ça vaut mieux que d’avaler de la mort aux rats. »

Actualisation 2019 : Une cliente régulière répond au doux nom de Lisa, et chaque fois que je l'entends j'ai envie de chanter "saute moi au cou ! Cherche moi des poux !" Pire, un collègue se prénomme Étienne et j'ai toujours envie de lui gueuler "oh tiens le bien !"

Ma collègue se prend au jeu et tente de deviner les airs que je fredonne :
« Dis-moi, Bidule, les années ont passé, pourquoi n’as-tu jamais songé à te marier ? »
« La place rouge était vide, devant moi marchait bip-bip ! Elle avait des cheveux blonds mon guide, Bip-bip !! »
 « machineuh, ma filleuuuuh »
 « C’était bien, chez Machin chouette, quand on faisait la fête, elle venait vers nous, Machin-chouette ! »
« Ya qu'un cheveu sur la tête à neuneu, il n'y a qu'une dent, il n'y a qu'une dent ! »
« Mais Tartempion, il veut pas qu’on l’embête, tout ce qu’il a dans la tête, c’est qu’il veut rentrer chez lui… J’veux pas rester ici » 

Ma collègue me pose des colles :
« Je te donne des noms et tu dois chercher des chansons !
- « Chercher le garçon ? Trouver son nom ? »
- Mais j’ai pas encore commencé !
- « Je cherchais des prénoms : « Matthieu, Cécile ? » en regardant courir vers 10 heures dans l’école des filles et des garçons »
-Tu me fais trop rire !
Rire et… chan-sons !!! »
- T’es vraiment dingue !
- Je suis MA LA DEUHHHHH, complètement MA LA DEUHHHHHHH ! »

-« Tu as une chanson avec le prénom Lucile ?
« Partout, au soleil, sous la pluie, quand ils voient s’avancer les grands yeux de Lucile, partout les garçons se bousculent et la rue un instant prend un air de folie ! »
- Sarah ?
- Princesse ! Princesse ! Tu es bien jolie !
-Ah là tu ne vas pas trouver ! Gilbert ! Pas un prénom pour une chanson !
- Gigi ! O Gigi, personne ne sait d’où tu viens, tu nous crées un monde angélique, où tout devient féerique…
-Tu ne vas pas nous sortir que des chansons de dessins animés !
-A-rri-va… Gigi l’amoroso !
Un collègue nous interrompt :
- Oh c’est fini Dalida !
-Laissez-moi chanter ! Laissez-moi… Laissez-moi danser, chanter en liberté… »

Je conclurai par :
« Ris-en si tu veux, il faudra bien y croire !
C’est comme dans un vieux rock n’roll
J’ai dans la tête un transistor qui fredonne
Comme dans un très vieux rock n’roll
Serre la main d’un fou, que rien ne raisonne ! »

Quiz On connaît la chanson : quelles sont  les chansons citées et leurs interprètes ? Les prénoms cachés débutent avec « oh, fini, fini pour moi ». Il y a 22 chansons en tout… Vous pouvez m'envoyer vos réponses par mail, et un gagnant recevra le cadeau inestimable avant noël : un paquet de papillotes !

A vous de jouer ! 

06/12/2019

Merci patron, quel plaisir de travailler pour vous

merci patron film.jpgOn est heureux comme des fous !
Une chanson d'actualité en ces temps de révolution grève générale.
Vous savez que je suis atteinte d'une maladie incurable, la chansonnite aiguë. Elle fait des ravages sur mon lieu de travail.
Chaque jour au boulot, les locaux gris de l'entreprise, cette immense étendue de cases de béton, ces bureaux gris qui se succèdent, me rappellent les images du ministère de l'information du film Brazil. Le héros travaille dans un environnement semblable au mien : froid, immense, gris, bétonné et sans lumière. Alors, comme lui, je m'échappe de mon quotidien terne en fredonnant Brazil; comme lui, je m'imagine réparer les injustices en luttant contre le système bureaucratique.
Comme les gueux de Métropolis ou du Roi et l'oiseau, je suis reléguée dans les bas-fonds, les sous-sols sans fenêtres. Parfois je parviens à m'échapper dans les étages. Officiellement pour pouvoir bénéficier du soleil et ne pas me transformer en Nosferatu le vampire. Officieusement, pour pouvoir être tranquille. Et ne plus être obligée de fredonner ou siffloter entre mes dents pour ne pas déranger les autres, et pouvoir enfin danser chanter en liberté, aller jusqu'au bout du rêve.

brazil bureau.jpgMalheureusement, souvent, je suis contrainte de devoir côtoyer des gens, les collègues et les clients. (et je fais des rimes en "an"). Mais moi je vis d'amour et de danse, je vis comme si j'étais en vacances. Alors je continue de siffloter Brazil, car moi, je vis d'amour et de risque, quand ça ne va pas, je tourne le disque.
Jusqu'au jour où un collègue m'a demandé :
"Mais c'est quoi ce truc que tu siffles ?" (Depuis 5 ans tout de même, il était temps de s'en rendre compte. Ou alors il restait très patient.)
- Ben la musique de Brazil, tu ne trouves pas qu'on se croirait dedans ?
- Connais pas.
- Dans ce film de Terry Gilliam, le héros travaille dans des locaux aussi moches que les nôtres et...
Collègue, impatient, m’interrompt en ronchonnant : - Ouais en tout cas c'est chiant que tu chantes tout le temps."

brazil collegues.jpgMoi, je vis d'amour et de rire, je vis comme si y avait rien à dire. Un jour j'aurai la chance d'être entourée de collègues un minimum sympas et culturés, avec lesquels je pourrais échanger plus de 2 phrases, je ne désespère pas. 
Et encore, il ne m'a pas reproché de faire de la batterie. Car lorsque je m'efforce de ne pas chanter, la mélodie reste en tête, et je la tape avec les index sur le bureau.
Il tape sur les bambous et c'est numéro un
Dans son île on est fou quand on est musicien
Tu le verras toujours bien dans sa peau quand il prend ce tempo.

Les collègues ne sont pas les seuls rabat-joie, les clients aussi :
"- Ça fait plus d'une heure que j'attends ! Appelez-moi le directeur !
Celui-ci est justement là. Je lui présente le problème (le client).
Dirlo, sérieux, note scrupuleusement, longuement, avec calme, les réclamations du client qui le houspille :
- Très bien je vais faire remonter l'information. Votre nom, c'est Jérôme, c'est ça ?
- OUI, JÉRÔME C'EST MOI, non je n'ai pas changé... "

Evidemment, ce n'est pas le client mécontent qui a répondu, c'est moi. Admettez que j'étais obligée, ça sortait tout seul, même sans être atteint de chansonnite aiguë incurable.
Vu l'air consterné du dirlo et du client, j'en conclus qu'eux non plus n'apprécient pas mes talents de chanteuse.

C'était un message de Papillote, actuellement en pleine reconversion, à la recherche d'un emploi (à radio nostalgie, ce serait bien). 
A suivre : quiz On connaît la chanson

Brazil, tomorrow was another day
The morning found us miles away
With still a million things to say

 

24/01/2019

Le misanthrope au travail, suite

travail, littérature, livre, étude de texte du misanthropeJe répète souvent cette réflexion du misanthrope :
"C'est n'estimer rien, qu'estimer tout le monde."

Ces affables donneurs d'embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d'inutiles paroles,
Qui de civilités, avec tous, font combat,
Et traitent du même air, l'honnête homme, et le fat.
Quel avantage a-t-on qu'un homme vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et fasse de vous, un éloge éclatant,
Lorsque au premier faquin, il court en faire autant?

Au boulot, un collègue a hérité du caractère irascible et brut de décoffrage d'Alceste encore plus que moi. A son âge proche de la retraite, il ne s'imagine plus améliorer les conditions de travail, alors comme le misanthrope "il lui prend des mouvements soudains, de fuir, dans un désert, l'approche des humains." Son désert est en réalité un refuge dans l'imaginaire, des séries et des livres qu'il engloutit en moins de deux, comme son travail, ce qui lui laisse le temps de bouquiner. Il limite les contacts le plus possible avec ses pairs, grognant un bonjour bourru si certains se risquent à lui adresser la parole. Il s'emporte facilement contre ceux qui font mal leur job, et même contre les clients, ce qui fait qu'il a la chance d'être relégué dans un poste sans contact avec autrui (contrairement à moi) car selon la direction : "on a peur qu'il s'en prenne à quelqu'un". En effet il ne s'est pas gêné pour traiter de "connasse" une collègue méprisante.
Les chefs ménagent cet Alceste qui n'a pas la langue dans sa poche, les collègues le fuient de peur d'être victimes de son courroux.

Mais moi, je l'apprécie, et il me le rend bien. Comme lui, je déteste les amabilités exagérées. Je ne fais pas la bise et ne me force pas à demander à de vagues collègues dont je ne connais même pas le nom tellement je m'en fous comme de l'an 40 : "Vous allez bien ?" Quand je pose la question, c'est parce que la réponse m’intéresse. Quelle formule de politesse ridicule, qui s'attendrait à ce que son patron réponde : "non, ça ne va pas, j'ai surpris ma femme sur un site de rencontres sous le pseudo "Germaine la sans gêne" et j'ai des problèmes gastriques depuis hier, peut-être à cause du cassoulet de la cantine..."

Je ne donne pas mon amitié à n'importe qui. C'est donc un privilège que je parle avec mon collègue, et un privilège que ce misanthrope me parle en retour.
Évidemment, à notre façon bourrue. Pour se dire bonjour, on ne va pas reproduire cette manie saugrenue de plaquer sa joue contre celle de l'autre pour se refiler des virus (mais qui a inventé "la bise" ?). On se salue de cette façon :
Lui : "Alors, toujours en train de glander /bouffer ? (ça dépend du contexte : si je mange mes papillotes ou si je bouquine) (ou les deux)
Moi : - Alors pépé, toujours en train de râler ?"

Ensuite on parle de ces trois choses essentielles : culture,  bouffe et chats. Les animaux sont les êtres qu'il apprécie le plus, comme souvent chez les gens déçus par les humains. Ce n'est pas une exclusivité féminine : c'est un pépère à chats. Pour noël il a aligné plus de 3 phrases volontairement (un exploit) pour me décrire les cadeaux et le festin qu'il leur offrait (des jouets et crevettes). Il passe les fêtes seul avec ces minous, il faut bien qu'il les gâte. Parfois il me donne les livres qu'il a finis, ou des gâteaux qu'il pique à la cantine : "j'en achète une part puis hop j'en glisse une autre dans ma poche". En retour, je lui fais parfois le café et je lui donne le cadeau privilège extrême : des papillotes. Il chourre aussi du pain pour le donner aux pigeons de la terrasse, il leur à même attribué des prénoms.
A part les animaux, il ne fait pas d'effort pour aller vers les autres, et ils le lui rendent bien. Mais moi j'ai toujours apprécié ces gens en retrait, difficiles d'accès : j'ai envie de savoir pourquoi ils se cachent, et souvent ils ont une grande profondeur. Je n'ai pas encore percé tous les mystères du vieil ours.

Oronte : "Souffrez qu'à cœur ouvert, Monsieur, je vous embrasse,
Et qu'en votre amitié, je vous demande place.
Touchez là, s'il vous plaît, vous me la promettez
Votre amitié ? Quoi ! vous y résistez ?
Alceste : -  Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me voulez faire
Mais l'amitié demande un peu plus de mystère,
Et c'est, assurément, en profaner le nom,
Que de vouloir le mettre à toute occasion."

 

 

22/01/2019

Le misanthrope au travail

Misanthrope.jpgComme Alceste, les hypocrites comme Philinte m'horripilent. Ce dernier pourrait représenter le juste milieu entre Célimène, la profiteuse populaire, et Alceste, l'excessif asocial, mais pour moi Philinte n'est qu'un faux-jeton complaisant. Il ne se mouille jamais, il ne fait donc pas bouger les choses et ne sert à rien. Il s'exclame par exemple :
"Et c'est une folie, à nulle autre seconde
De vouloir se mêler de corriger le monde.
J'observe, comme vous, cent choses, tous les jours
Qui pourraient mieux aller, prenant un autre cours
Mais quoi qu’à chaque pas, je puisse voir paraître
En courroux, comme vous, on ne me voit point être
Je prends, tout doucement, les hommes comme ils sont
J'accoutume mon âme à souffrir ce qu'ils font."

Dans un ancien boulot, j'avais dénoncé tout haut ce que tout le monde blâmait tout bas (de gros problèmes de consignes contradictoires et de harcèlement), et un collègue m'avait sorti : "il en faut des gens comme toi, car ils font bouger les choses. Le problème, c'est que c'est toi qui prends tout après, car personne ne te soutiendra par peur, alors que tu as raison."

Philinte prétend être ami avec un homme, mais s'en moque quand ce dernier a le dos tourné. Alceste est horrifié. Cette scène ressemble à celle que j'ai surprise avec une ancienne connaissance : elle croise un collègue, lui fait un large sourire en lui disant bonjour et d'autres amabilités. Tant d'insistance et de gentillesse ne pouvaient sembler que sincères, mais pourtant dès que l'homme passe la porte, la fille s'exclame :  "quel connard celui-là !" Cette situation s'est reproduite à l'identique devant d'autres témoins, aussi choqués que moi par une telle hypocrisie. La fille, imperturbable, nous répondait : "ça s'appelle de l'intelligence sociale". 
Ce que Philinte exprime ainsi en 1666 :
"Mais quand on est du monde, il faut bien que l'on rende
Quelques dehors civils, que l'usage demande"

Alceste se défend mieux que moi :

"Non, vous dis-je, on devrait châtier, sans pitié
Ce commerce honteux de semblants d'amitié :
Je veux que l'on soit homme, et qu'en toute rencontre
Le fond de notre cœur, dans nos discours, se montre
Que ce soit lui qui parle, et que nos sentiments
Ne se masquent jamais, sous de vains compliments."

Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur
On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.

J'ai vu une scène similaire au travail. Une femme un peu empotée arrive pour la première fois en robe. Les collègues s'extasient devant sa tenue :
"Han comme elle te va bien !"
La fille rosit, elle n'a pas l'habitude d'être au centre de l'attention : - "C'est vrai ?
- Oui, ces fleurs ! Et ces couleurs !"
La fille se confond en remerciements balbutiants. Dès qu'elle repart, les deux compères éclatent de rire : 
"Nan mais t'as vu comme ça la boudine !
- Et ce motif ! Elle a piqué la robe de sa grand-mère ?"

J'étais outrée. Je ne prétends pas qu'il faut dire à la Alceste : "écoute, tu ferais mieux d'éviter, tu ressembles à l'hippopotame en tutu dans Fantasia (bon, Alceste s'exprimerait mieux et en vers, mais on n'est plus en 1666  et vous avez saisi le sens), mais de là à mentir à ce point ! Surtout que la fille ne leur avait pas demandé leur avis ! 
Si elle l'avait fait, je n'aurais pas pu mentir ("ma chéwie ! tou é magnifique !"), mais j'aurais adouci mes propos. On me reproche parfois ma franchise, mais pourquoi me demander mon opinion si c'est pour ne pas l'accepter ?

Oronte : "Mais ne puis-je savoir ce que dans mon sonnet...
Alceste : - Franchement, il est bon à mettre au cabinet."

Suite demain

 

 

20/01/2019

Le misanthrope

misanthrope.jpgDéçue par mes dernières lectures, je décide de relire mes classiques. En premier, celui qui reste mon préféré depuis que je l'ai découvert l'été de mes 13 ans. Je m'en souviens comme si c'était hier, un choc, une révélation : il reflétait exactement mes pensées, mettait les mots sur ce que je ressentais. Je passais des journées entières à recopier des pages et des pages de ces monologues formidables, dans l'idée de les retenir pour les ressortir à mes détracteurs.

Les goûts changent en grandissant (Les Fantômette, Club des 5 et Super picsou géant ne trônent plus dans ma bibliothèque aujourd'hui, étonnant non ?) Ado, j'avais pris une claque avec le K de Dino Buzzati, La chute de Camus, Les mots de Sartre ou La conjuration des imbéciles, mais ils m'ont bien moins impressionnée à la relecture. Seul un livre traverse toutes les époques, un livre qui a 350 ans et reste d'actualité. Sauf pour le langage. Imaginez la tête des gens si je leur rétorquais, lorsque je constate une énième injustice et malveillance :
"J'entre en une humeur noire, en un chagrin profond
Quand je vois vivre entre eux, les hommes comme ils font
Je ne trouve, partout, que lâche flatterie
Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie"

Ces propos sont pourtant toujours opportuns. Au travail, je m'indigne quand des gens hautement toxiques, bêtes, méchants et glandeurs sabordent le travail et l'ambiance par leurs médisances, mais accusent les autres à leur place. Je m'insurge quand ces grandes gueules s'attribuent le travail des humbles et timides, mais on me répond, pas plus tard que ce vendredi : "on sait, mais tu comprends, on ne peut rien lui dire, elle est intouchable et elle attaquerait dix fois plus fort. Il vaut mieux se la mettre dans la poche et faire semblant de l'apprécier".

Nommez-le fourbe, infâme, et scélérat maudit
Tout le monde en convient, et nul n'y contredit.
Cependant, sa grimace est, partout, bienvenue
On l'accueille, on lui rit; partout, il s'insinue
Et s'il est, par la brigue, un rang à disputer
Sur le plus honnête homme, on le voit l'emporter.
Têtebleu, ce me sont de mortelles blessures
De voir qu'avec le vice on garde des mesures
Et, parfois, il me prend des mouvements soudains
De fuir, dans un désert, l'approche des humains.

Si tout le monde supporte des actes intolérables, si personne n'agit, comment peut-on améliorer les choses ? J'ai parfois envie de répondre comme Alceste :  
"Je hais tous les hommes : les uns, parce qu'ils sont méchants et malfaisants
Et les autres, pour être aux méchants, complaisants."

Vous l'avez compris, j'évoque Le misanthrope de Molière, pièce écrite en 1666 et toujours aussi d'actualité. Elle est d'ailleurs régulièrement jouée et actuellement à Paris avec Lambert Wilson. J'estime cependant le titre peu approprié : pour moi, Alceste n'est pas vraiment misanthrope. Il est simplement profondément honnête, sincère et passionné. Il se révolte contre le mensonge et l'injustice. Il ne déteste pas tous les humains, puisqu'il meurt d'amour pour Célimène. Elle est pourtant une pétasse superficielle, à l’opposé du caractère d'Alceste, entier et profond.

Célimène fait preuve de la popularité et de l'aisance en société qui font défaut à Alceste. Elle flatte et est entourée de flatteurs. Elle me faisait penser quand j'étais au collège aux pouffes populaires, moqueuses, manipulatrices et futiles : les filles qui pavanaient avec leur dernière tenue à la mode, qui flirtaient avec les garçons et les manipulaient pour obtenir des faveurs et être traitées en princesse. Elles prétendaient également être amies avec des camarades mal dans leur peau, qui leur servaient en fait d'aide aux devoirs et de faire-valoir ("regardez, à côté de ce boutonneux renfermé, je parais très belle et charismatique"). La majorité riait de leurs moqueries, pour ne pas devenir le prochain souffre-douleur de ces tyrans.  
J'ai lu un article expliquant que ces personnes populaires à l'école, peu habituées à l'effort et aux contraintes, puisque tout le monde va dans leur sens et devance leurs besoins, réussissent moins bien leur vie ensuite. Elles peinent à continuer leurs études, obtenir des diplômes et un bon travail. Alors qu'au contraire, certains anciens mis au rebut réussissent mieux, par souci de reconnaissance et de revanche. Justice, enfin !
Suite demain