25/03/2020
Parodie de journal, suite
Marie Darrieussecq, auteure de Truismes, Le bébé, Être ici est une splendeur et Il faut beaucoup aimer les hommes, nous livre son journal de vacances dans une maison de campagne.
Lundi. Courte sieste au bout des 8 heures de route. Supermarché. J'appelle ma mère pour lui faire ses courses mais elle entend se débrouiller seule sur Internet.
Gants et masques. Les autres clients nous regardent avec stupeur. Mon mari est chercheur, son quotidien c'est l'invisible, les très petits corps, il y croit. Je me sens bien accompagnée. Mark Ruffalo dans Blindness, c'est lui. Un excellent film de pandémie, adapté d'un roman de Saramago. À quoi bon la science-fiction ? Eh bien, pour être prévenus.
Le discours de Macron refroidit mes ados, qui comprennent mieux notre départ.
Papillote, auteure de Truites, Le morveux, Être ici est un cauchemar et Il faut beaucoup aimer les chats, nous livre son journal de confinement dans un studio en ville.
Lundi. Courte nuit après 5 heures d'insomnie. J'appelle ma mère pour vérifier si elle n'est pas malade, vu que toute la famille autour d'elle l'était (en ne l'apprenant qu'après, puisque le gouvernement a décidé de ne pas généraliser les tests.) Elle me raconte qu'une association l'a contactée pour lui demander si elle avait besoin d'aide pour ses courses vu son âge. Elle a répondu que non, qu'elle se débrouillerait seule à pied (atteinte de cataracte, elle ne peut plus conduire). Je l'engueule. Quand j'étais ado, elle m'interdisait de sortir. Aujourd'hui, c'est l'inverse.
Supermarché. Sans gants ni masques, puisque pénurie, affichée devant les pharmacies. Une écri-vaine tape la discute au pauvre caissier, sans maintenir de distance de sécurité. Je la regarde avec stupeur. Mon mari c'est le meilleur, il sait tout sur tout, je crois en mon messie. Je me sens bien seule. L'homme invisible dans Hollow man, c'est lui. Un film de Verhoeven, vaguement inspiré de HG Wells. A quoi bon la science-fiction ? Eh bien, pour trouver une solution. Si on est invisible on pourra sortir sans attestation.
Le discours de Macron me consterne, il est peu compréhensible et contradictoire.
Mardi. Internet résiste à ma mère. Je peine pour lui remplir clic par clic un panier récalcitrant, je reste en « queue-it », de nouveaux mots idiots apparaissent, le site patine mais j'y parviens. Un numéro local s'affiche soudain sur mon téléphone : c'est le gérant, il me dit ne pas pouvoir grouper ses équipes pour remplir les cartons. Douceur paradoxale de constater qu'il y a des humains derrière les robots. Ma mère réinvente l'e-commerce en appelant l'épicerie de son village. D'un bout à l'autre du salon froid (elle n'a plus beaucoup de bois), la gestuelle de nos corps, leur distance, est modifiée.
14 heures, grâce à leurs profs, mes deux grands, en lycées publics, sont penchés sur leurs exercices… Comment font les élèves qui n'ont pas d'ordinateur ?
J'appelle une amie enceinte, c'est le cauchemar, l'arrivée d'un bébé en pleine crise sanitaire… Elle va l'allaiter pour ne pas dépendre des stocks.
Un ami adepte des rencontres rapides se lamente, lui, que Grindr soit à l'arrêt.
Au CNC où je préside l'avance sur recettes, nouvelles catastrophiques de films dont le tournage implose en vol. Tous nos copains du spectacle vivant sont aux abois. Et mes librairies chéries… L'idée qu'Amazon puisse s'engraisser encore de la crise me débecte. Je relis Hervé Guibert.
14 heures, j'envoie des messages à des copines pour savoir si elles vont bien et proposer qu'on se téléphone, elles me répondent qu'elles n'ont pas le temps car elles doivent faire l'école à la maison. Elles se rendent compte combien il est difficile d'être prof.
Ma mère m'a appris lundi que ma meilleure amie d'enfance est enceinte. Mais quel cauchemar, l'arrivée d'un bébé.
Je n'ai pas d'amis inscrits sur les sites de rencontre, mais j'aimerais bien qu'on me raconte les rendez-vous foireux, car les articles "tinder surprise" sont réservés aux abonnés du journal. Quand j'ai emprunté le bouquin du même nom, j'ai découvert qu'il n'était pas un recueil de témoignages, mais un roman d'une bobo qui raconte des rendez-vous imaginaires dans les bars branchés de Paris : peu d'intérêt.
Depuis que le dernier journal où je bossais a fait faillite, je n'ai plus de copains dans le monde du cinéma. Et ma bibliothèque chérie... L'idée qu'Amazon puisse s'engraisser encore de la crise me débecte. Je relis Naomi Klein.
à suivre...
16:26 Publié dans Con finement, J'ai bobo là, Oh ? y a des gens autour ! | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : confinement, on va tous crever, je vais tuer mes voisins | | Facebook
24/03/2020
Journal de confinement des gueux, suite
Papillote, auteure de Truites, Le morveux, Être ici est un cauchemar et Il faut beaucoup aimer les chats, nous livre son journal de confinement dans un studio en ville.
Dimanche. Je regarde depuis ma fenêtre les gens remplir leurs voitures en rigolant, comme s'ils partaient en vacances : ils désertent avant les annonces officielles, pour transporter le virus chez leurs vieux parents en campagne et hériter plus vite.
Dans la rue, premières tensions, les gens s'agglutinent devant les commerces. Tensions aussi quant au "choix" que j'ai fait de me cloîtrer seule dans mon studio ou de squatter dans ma famille, mais ma mère est âgée et mes frères qui travaillent dans le service public à 600 km d'ici sont infectés (et mes belles soeurs, mes neveux).
Une petite voix me dit, dans ma tête : "j'ai oublié d'écrire mon testament". Demi-tour, donc. Les images de films d'apocalypse me poursuivent...
à suivre...
17:29 Publié dans Con finement, J'ai bobo là, Oh ? y a des gens autour ! | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : confinement, on va tous crever | | Facebook
20/03/2020
Epidémie de joggeurs dans Paris
Mon horoscope du jour : "Le climat est favorable pour les rencontres et pour les projets. Envie de voyager, de découvrir de nouvelles contrées ou de vous faire plaisir, aujourd'hui vous pouvez tout vous permettre. Vous avez besoin de changer d'air, en plus, cette période de printemps s'y prête tout à fait. Profitez donc de cette belle journée pour vous promener, si vous avez du temps devant vous."
Jour 4 de confinement, dans un studio de 20 mètres carrés. Pire, un F1, avec une grande cuisine et une deuxième pièce qui sert de salon/chambre/bureau/salle de sport. Je prépare mes plats moi-même, mais je découpe les légumes en regardant des documentaires, donc dans la deuxième pièce. Au final, je vis dans moins de 10 mètres carrés. Au premier étage d'un immeuble, avec les fenêtres qui donnent sur la rue moche et étroite, et les rayons de soleil qui ne pénètrent pas dans l'appartement.
Habituellement, je fais une heure de sport par jour (peu intensif : abdos, gainage etc, puis 2 séances + sportives par semaine : zumba, jumping jack...) + 1h de marche rapide par jour dans le parc, + un travail physique où je parcours de grandes distances à pied, monte des escaliers et porte des charges. Un collègue a ramené un podomètre et a calculé qu'il marchait, rien qu'au boulot, 12 km par jour. Bref, j'ai besoin de beaucoup bouger sinon je m'énerve et j'ai envie de buter les cons.
Autant vous dire que j'attendais la fin de mon arrêt maladie de 3 semaines qui m'empêchait de faire du sport, et le printemps, pour sortir de mon hibernation, gambader dans le parc, voir les fleurs et écouter les petits oiseaux. Sauf que comme beaucoup se sont promenés ce week-end alors qu'on était censés rester confinés (mais qu'on avait le droit de sortir voter, incompréhensible) je dois à nouveau rester cloîtrée. Et un mois, ça commence à faire long. Et aujourd'hui, je vois les rayons de soleil qui se reflètent dans les fenêtres de l'immeuble... d'en face.
Je lis qu'il est censé faire 20 degrés. Censé, car dans mon appart sans lumière, je porte toujours mon col roulé et mon plaid d'hiver. J'ai longtemps hésité, mais comme le gouvernement autorise "les déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l'activité physique des personnes" J'ai décidé de sortir prendre le soleil en bas de la rue, sur l'esplanade avec des fleurs, à 200 mètres.
Ce serait vraiment pas de bol de croiser des flics et qu'ils trouvent mon argument invalide. Je sors avec mon ordonnance de kiné pour montrer que j'ai besoin de 50 séances de rééducation physique ? Mon médecin s'est trompé et a rédigé la prescription pour le patient d'avant. Un homme, de 30 ans de plus que moi, en fauteuil roulant : compliqué de me faire passer pour lui. Je sors en jogging baskets ? Je fais du sport, mais des mouvements cools adaptés à mémé. Courir, donc se péter les articulations, le dos et les genoux, moi : jamais.
Je sors donc de ma grotte, mon papier rédigé à la main en poche, avec manteau, écharpe et bonnet. Ah oui effectivement, il fait chaud dehors. Je croise des gens en T-shirt. Enfin, je croise : je change de trottoir pour ne pas les croiser. Tiens, la rue n'est pas si déserte. J'arrive sur l'esplanade. Je vois une femme avec son chien. Je lui souris avec envie de lui dire "vous avez une bonne excuse pour sortir !" mais je me tiens à bonne distance. Je ne vais pas crier, ni me rapprocher et lui faire peur, donc je me ravise, je ne lui parle pas. Situation bizarre. Je fais le tour du parterre de fleurs. 6 fois. Un homme fait pareil 10 mètres derrière moi. Comme des prisonniers qui ont le droit de sortir 20 minutes par jour tourner dans la cour sans se parler. Décidément, situation insolite. Je décide de poursuivre à côté. Et là...
Je vois des parents avec leurs gosses qui font du vélo. D'autres, un foot. Un homme est allongé sur un banc, à dormir au soleil. Un couple est assis côte à côte, un autre se promène main dans la main. 3 personnes discutent gaiement. Deux ont carrément ramené un poste de musique et dansent le tango. Deux font un tennis.
Euh... On est pas censé rester confinés, sortir exceptionnellement et se tenir à distance les uns des autres ? Je me promène quotidiennement (enfin, avant l'épidémie) depuis 13 ans ici. En semaine, habituellement, je ne croise quasiment personne, et surtout, peu de sportifs. Et là, je vois plus de monde dehors que d'habitude !!!
Le parc est fermé, et on se retrouve tous comme des cons agglutinés autour. Ce qui signifie qu'au lieu de se promener dans un grand espace, on fait le tour depuis un petit trottoir, à regarder derrière les barreaux l'intérieur du parc. Je dois slalomer entre les gens pour maintenir le périmètre de sécurité. Eux ne s'en préoccupent pas. Ubuesque.
En 20 minutes, je compte 6 personnes en vélo ("déplacement à proximité ?" en vélo ??) 18 joggeurs, 6 sur une trottinette, 4 jeunes qui font un foot, 2 qui dansent le tango, 2 qui jouent au tennis, 1 qui fait des squats, 1 des pompes. Avec de grands râles pour faire le cador qui accomplit un exploit surhumain. Ils ne peuvent pas faire leur gym chez eux comme moi ? Parce que là, comme ce sont des gens qui ne font habituellement pas de sport, ils soufflent comme des boeufs, courent en faisant la locomotive (tchou tchou), et même avec une distance de 3 mètres, le vent transporte leurs postillons.
Certains ne courent pas, mais hyper ventilent en remuant les bras comme pour s'étirer, font de grandes enjambées qui ressemblent à des squats... Bref, beaucoup font semblant. On a autorisé les sorties pour le jogging, et ils se sont soudain découverts une passion pour la course. Si Jacques avait dit : “vous avez le droit de sortir, pour faire la danse des canards par exemple” ils auraient tous quittés leur appart déguisés en Saturnin qui secouent le bas des reins. Le gouvernement aurait mieux fait de citer comme exemple de sortie “faire du bénévolat” ou autre action civique. On incite les gens à faire du sport, marcher au minimum 30 minutes par jour pour réduire l'obésité et les maladies cardio-vasculaires, ils ne suivent pas les recommandations. Mais quand on leur interdit de sortir pour ne pas propager l'épidémie, ils se transforment en grands sportifs. Pour sa prochaine allocution, je propose à Macron de dire exactement le contraire de ce qu’il souhaite pour l’obtenir : “sortez tous de chez vous ! toussez-vous tous dessus ! Un pour tousse, tousse pour un, c’est un ordre !”
Je peux faire madame Irma : vu le nombre de personnes dans les rues aujourd'hui, je prédis un confinement total pour les prochains jours. En tout cas moi demain, je reste dans mon trou.
17:56 Publié dans Con finement, J'ai bobo là, Oh ? y a des gens autour ! | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : coronavirus, on va tous crever, restez chez vous bordel | | Facebook
19/03/2020
Nous sommes en guerre
Jour 3 de confinement
Comme beaucoup, j'ai écouté le discours présidentiel lundi, et comme beaucoup, j'ai trouvé qu'il manquait de clarté. Macron a annoncé les règles du confinement, sans pourtant employer le mot. Pour ne pas affoler ? "Surtout ne cédez pas à la panique" mais il a répété 6 fois : "nous sommes en guerre" contre "un ennemi invisible".
Nos ancêtres ont combattu fusil à la main, à slalomer entre les obus, mais nous, on sauve la nation en se lavant les mains et en restant chez nous devant la télé. Ca devrait être plus facile. Je préfère tenir une télécommande qu'un fusil.
Une semaine en amont, le couple présidentiel incitait la population à se rendre au théâtre. Ensuite, à rester chez soi, mais quand même sortir pour aller voter. Les transports en commun sont maintenus. Puis Bribri s'est indignée de voir des gens se promener sur les quais, pendant qu'elle... se promenait sur les quais. Alors, comme on n'a pas été sages et qu'on n'a pas écouté le maître, on est maintenant punis au coin avec un bonnet d'âne. On est passé de "c'est rien, une simple grippe, pas de quoi s'affoler" à "50 à 70% de la population infectée, planquez-vous, sinon vous allez crever, on envoie 100 000 flics pour vous contrôler"
On peut sortir "pour faire de l'exercice physique, comme un jogging", ou bien pour les courses, ou promener son chien. Enfermée dans un studio minuscule avec vue sur la rue, où le soleil ne pénètre pas, j'ai besoin de prendre l'air (normalement je me promène quotidiennement au parc, mais il reste désormais fermé). Vais-je devoir enfiler un survet, voler le chien de la voisine et faire le tour du pâté de maison avec un poireau ?
Quant à l'attestation, je ne possède pas d'imprimante. Dois-je la recopier avec mes pattes de mouches, mon écriture illisible digne d'un docteur ? Ou alors je dessine un rébus, des petits coeurs :
"Je soussignée Papillote, certifie que mon déplacement est lié au motif suivant : "laissez-moi sortir sinon je vais me transformer en vampire, gros poutous"... Je propose de rajouter une ligne : "déplacement long et loin du domicile, car mon mec, ma femme, mon gosse, mon chien, ma télé, mes voisins me soulent". Si j'écris que je sors "pour effectuer des achats de première nécéssité : acheter des choux de Bruxelles", les flics ne vont jamais me croire "c'est un fake ! personne ne mange ces trucs-là !"
Avec cette attestation, j'ai l'impression de retourner au collège, quand je devais montrer mon carnet au surveillant et que j'avais imité la signature de ma mère.
Jusque-là, j'avais réussi à tenir sans me promener. Mais aujourd'hui, je suis sortie...
à suivre...
17:47 Publié dans Con finement, J'ai bobo là, Oh ? y a des gens autour ! | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : confinement, on va tous crever | | Facebook