12/08/2020
Travail à la chaîne, suite
Lire le début ici.
La personne la plus haut placée que je verrai est une sous-fifre du service marketing, qui m'annonce en quoi va consister le boulot.
Je serai bien dans les locaux prestigieux de la chaîne, je vais bien contacter des journalistes... mais pas directement.
Non, je vais leur adresser... des colis.
Je remplis juste des cartons de cadeaux, à l'approche de noël, pour les principaux annonceurs et partenaires de la chaîne. Je dois installer dans chaque colis une bouteille de champagne, un bloc de foie gras et un ballotin de chocolat.
Des milliers de mets appétissants qui me mettent l'eau à la bouche, que je manipule du matin au soir, sans pouvoir les goûter. A force de les toucher, je connais en détail leur composition. Les différents parfums de chocolat. J'ai hâte de déguster celui fourré au caramel, qui promet d'être fondant à souhait. Celui avec une pointe de poivre noir m'intrigue aussi, quel mélange étonnant, qu'est-ce qu'il peut bien donner ? Quant au foie gras, j'adore ça, je pourrais en manger des kilos. Puis ce plat est forcément associé à la fête, à noël, aux cadeaux, aux moments joyeux de partage. Je sais que le champagne est des plus réputés, même si je ne l'ai jamais goûté, bien trop cher pour ma bourse. Je m'imagine déjà ouvrir une bouteille le dernier jour pour fêter la fin de la mission. Je me vois faire sauter le bouchon avec le petit "pop" caractéristique, verser le précieux liquide sans déborder dans les verres, à part égale, goûter les bulles piquantes, grisantes... J'en ai l'eau à la bouche. Une torture.
Je me console en pensant qu'à la fin de ces 3 jours de labeur, j'aurais ma récompense : on va forcément m'offrir un carton à moi aussi pour me remercier, comme on l'a fait avec un parfum lors d'un précédent travail pour une marque de cosmétiques (un parfum au flacon rose bonbon, qui puait atrocement, d'une valeur de 120 euros ! J'ai essayé de le revendre, en vain : personne n'a envie de sentir le désodorisant pour WC).
J'emballe des milliers de présents, la direction n'est pas à un carton près, elle peut bien m'en offrir un. Avec le fric qu'elle engendre. Au pire, au moins, elle peut me céder un des objets du colis. Une erreur va bien survenir à un maillon de la chaîne, sur des milliers de produits, c'est inévitable : à la commande, un foie gras de trop... au transport, un carton qui s'égare... à la mise en boîte, une bouteille qui se casse, l'oubli d'installer l'un des cadeaux dans le colis...
Je mérite bien cette récompense. Si le travail paraît des plus simples, il est néanmoins fastidieux et physique. Je dois aller chercher les cartons au sous-sol, alors que je travaille en tour, avec un chariot difficile à manipuler. J'assemble les colis, qui se présentent sous la forme de plaque de carton au début, puis j'installe les produits dedans. Une fois les colis emballés, je les empile dans une pièce plus loin, puis les redescends en chariot au sous-sol. Je m'égratigne ou me coupe avec le cutter pour ouvrir et assembler les cartons. Je me fais mal au dos, aux mains, aux articulations et aux genoux en portant des charges lourdes et difficilement maniables (les cartons n'ont pas d'anses, ils glissent entre mes bras, je les retiens comme je peux avec mes genoux). J'ai mal aux poignets à force d'exécuter des gestes répétitifs.
Mais plus que la tâche à accomplir, c'est la coordination avec mes collègues qui reste la plus difficile...
A suivre...
16:26 Publié dans Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : travail, pôle emploi, chômage, intérim | | Facebook
09/08/2020
Travail à la chaîne
Avant de trouver mon job actuel, j'ai beaucoup galéré, avec plusieurs longues périodes de chômage décrites ici ou là, et des lettres de motivation à des annonces farfelues qui restaient sans réponse. Une agence d'intérim finit par me proposer de travailler au sein d'une grande chaîne de télévision française.
Enfin ! Je retrouve un boulot de journaliste ! Je vais pouvoir écrire, analyser, parcourir le monde...
J'ai déjà plein d'idées de sujets d'actualité brûlants :
"Flash spécial. Papillote est en train de cuire, thermostat 8, chaleur tournante. En attente de vos dons pour financer sa retraite anticipée en Bretagne"
Des enquêtes choc :
"Dans l'enfer du confinement. Papillote en expédition chez le voisin du dessus pour stopper le massacre des Rollings Stones à la guitare"
Des révélations :
"Mon chat me suit partout et ramène sa baballe. En réalité, c'est un chien".
Subjugué par mon charme et ma vivacité, on me proposera directement la présentation du JT de 20 heures, ou de partir en reportage au bout du monde pour animer une émission de découverte des plats du pays ("l'estomac sur pattes a testé pour vous")
Mais lors de ce travail, je ne verrai que le hall du bâtiment, une salle vide et un sous-sol.
Des employés de la chaîne, je ne verrai que le personnel de sécurité, d’accueil et de ménage. Je doute qu'ils aient accès à quelqu'un pouvant me refiler un travail intéressant. Peut-être si je retrouve la personne qui nettoie les bureaux des responsables, et lui demande de me laisser vérifier le contenu de leurs poubelles, avec des papiers confidentiels ? "Donnez-moi un bon poste ou je révèle à tout le monde le salaire de votre animateur vedette, que votre reportage est bidonné avec un faux témoin et que vous harcelez sexuellement votre assistante !"
La personne la plus haut placée que je verrai est une sous-fifre du service marketing, qui m'annonce en quoi va consister mon travail.
Je serai bien dans les locaux prestigieux, je vais bien contacter des journalistes... mais pas directement.
à suivre...
15:38 Publié dans Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : travail, pôle emploi, chômage | | Facebook
02/08/2020
Embauchez-moi, vous ne le regretterez pas : Lagaffe à la photocopieuse
Suite de mes exploits dans le monde merveilleux du travail.
J'ai exercé beaucoup d'emplois à titre énigmatique et fourre-tout, comme "chargée de mission".
Terme pompeux qui m'évoquais le prophète qui part prêcher la bonne parole, main sur le cœur, prêt à illuminer les foules, changer les mentalités, la face du monde... Mais qui consistait en réalité à... faire des photocopies. Or, les machines et mémé nulle en nouvelles technologies ne sont pas amies. Je vous rappelle que dès que je touche l'imprimante au boulot, elle tombe en panne, et qu'un témoin de l'incident m'a annoncé : "je suis magnétiseur. Vous avez un fluide qui perturbe les machines". Et pour couronner le tout, je suis daltonienne.
Coller Gastonne Lagaffe à la photocopieuse était donc un pari risqué. J'étais une vraie calamité. A imprimer à l'envers, sur une feuille rose quand on me demandait jaune, en 3 exemplaires quand on m'en demandait 2 et inversement. Je devais faire des tonnes de photocopies et à moi seule j'étais responsable de la déforestation de Fontainebleau. Pour m'y retrouver, J'étalais mes tas de papiers autour de la photocopieuse, donc dans le couloir, et les passants faisaient voler mes feuillets dans tous les sens.
Le bourrage papier était mon ennemi juré, je déboulonnais la machine en pestant, couverte d'encre, à plat ventre par terre : "mais il est où ce fichu tiroir A4?!"
Alors plutôt que de gaspiller honteusement des milliers de feuilles et d'arbres pour rien, j'ai proposé d'envoyer les formulaires par mail. (Version officielle : pour l'environnement. Version officieuse : je ne sais pas faire fonctionner une photocopieuse).
Puis j'ai découvert qu'au même étage se trouvait le responsable du magazine interne de l'entreprise. Comme j'avais bossé comme journaliste, j'ai proposé mes services. Bref, de simple boulot de photocopie, je me suis retrouvée relectrice, correctrice puis rédactrice. Le collègue était content, il pouvait glander pendant que je faisais son taf, et moi j'étais contente de faire un travail qui m'intéressait plus que celui pour lequel j'étais embauchée au départ, et pour lequel j'étais bien plus compétente.
Après je vous rassure, je reste une Gastonne : si j'ai la chance d'occuper un bureau privé avec accès à internet, je passe du temps à dormir surfer, mais pour les boulots en open space et sans ordi, je suis bien obligée de bosser, alors tant qu'à faire, autant faire un job qui m'intéresse. Pour ne pas devenir zinzin ou aigrie, j'ai besoin de faire un travail qui a du sens pour moi.
A suivre...
16:15 Publié dans Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : travail, gaston lagaffe, pole emploi | | Facebook
04/07/2020
Embauchez-moi, vous ne le regretterez pas
Avant de trouver ma planque mon job actuel qui me convient bien (faudrait juste supprimer les collègues. Et les clients. Juste me payer pour ma présence quoi) j'ai non seulement été affectée à des postes sans intérêt pour moi (aucune créativité), mais souvent aussi, parfaitement inutiles. La plupart du temps, je jouais le rôle d’intermédiaire entre deux personnes qui auraient pu communiquer directement. Ou je recopiais sur ordinateur des textes techniques incompréhensibles, écrits à la main par des types qui avaient la flemme d’allumer leur PC ou d’apprendre à s’en servir. Ou j’accueillais des gens dans un lieu où personne ne se présentait.
Plus précisément, pour un de ces jobs, je vérifiais des données, et ma vérification était ensuite revérifiée au grade supérieur.
"j'ai vérifié ce qu'il a fait, c'est bon"
"j'ai vérifié ce qu'elle a vérifié, c'est bon."
Je ne parle pas d'informations d'importances capitales, d'erreur de calcul qui provoquerait une explosion nucléaire et imposerait une double vérification. Non, je vérifiais bien des calculs, mais de notes de frais. Pas les notes de frais du grand président de l'entreprise, celles-ci restaient hautement confidentielles, interdiction formelle de regarder pour les subalternes. (Evidemment, quand j'étais tombée dessus, j'avais bravé l'interdit, fait des clichés comme preuve et tout envoyé au Canard Enchaîné pour dénoncer le scandale. Non je rigole. Je n'avais pas encore d'appareil photo sur le téléphone à l'époque, j'avais "juste" recopié les sommes honteusement exorbitantes à la main et en avait parlé à tout mon entourage).
Je m'occupais simplement du gars en déplacement qui voulait se faire rembourser son pauvre sandwich sncf aussi épais que moi ou Renaud. Effectivement, il faut bien une note comme preuve pour justifier les 6 euros pour un bout de pain de mie industriel agrémenté d'une rondelle de tomate et d'un lardon. Mais deux personnes pour valider un sandwich, c'est inutile. J'ai mis les pieds dans le sandwich le plat d'entrée :
"à quoi on sert si quelqu'un vérifie encore au-dessus de nous ? Ils nous pensent assez cons pour ne pas savoir lire un chiffre ? Faut un référendum auprès de tous les Français pour valider une note à 6 euros ?"
Mon collègue qui me présentait fièrement son travail s'est ratatiné. Il m'apprend alors qu'il fait ce job depuis...25 ans et il a l'air de découvrir son inutilité. 25 ans dans le déni à s'imaginer en indispensable maillon de la chaîne, puis une gamine qui n'était même pas née quand il a débuté lui enlève ses illusions, sa joie de vivre dès sa première heure de travail. Il a passé les 6 mois suivants (avant que je parte à la fin de mon contrat en ayant refusé le CDI qu'on me proposait) caché derrière un véritable mur de notes de frais, qu'il ne s'embêtait même plus à vérifier, démoralisé.
Si vous voulez motiver vos troupes, embauchez-moi !
à suivre...
17:06 Publié dans Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : travail, bullshit jobs, comment supporter ses collègues de bureau | | Facebook