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29/01/2019

La mule de Clint Eastwood

cinéma,clint eastwoodEarl Stone ne vit que pour son travail d'horticulteur, au détriment de sa famille. Il a préféré participer à un concours de fleurs plutôt que d'assister au mariage de sa propre enfant, qui refuse de lui adresser la parole depuis. 15 ans plus tard, c'est sa petite fille qui se fait passer la bague au doigt. Earl a l'occasion de se rattraper en payant une partie des frais de la noce. Mais il n'a plus d'argent, son entreprise fait faillite. Comme il a l'habitude de voyager pour son métier, on lui propose alors un moyen facile de se remplumer : transporter dans sa voiture des sacs de drogue, faire la mule. Il est d'autant plus insoupçonnable qu'il n'a jamais commis d'infractions routières, est d'un tempérament chaleureux et insouciant, et surtout, il a plus de 80 ans...
Le film est tiré d'une histoire vraie, ce qui en fait toute sa force, car comme je dis toujours, la réalité dépasse la fiction. La vraie mule se nommait Leo Sharp et a agi jusqu'à ses 87 ans.

cinéma,clint eastwoodLe film garde des zones d'ombre : les trafiquants précisent bien que Earl ne doit pas regarder le contenu des sacs qu'il fait traverser la frontière. Mais les types sont des caricatures de gangsters, avec leurs grosses chaînes en or, leurs tatouages et leurs flingues : pépé est-il assez sénile et naïf pour ne pas comprendre qu'il transporte de la drogue pour un cartel mexicain, ou c'est le réalisateur qui essaie de nous le rendre sympathique en éludant la question ?
De même, Earl a délaissé sa famille, préférant s'amuser avec ses copains et des filles de passage lors de ses concours de fleurs. Mais Eastwood le présente plutôt comme un joyeux hurluberlu profitant de la vie et de sa liberté. Il est aussi montré comme ayant le sens du partage et du sacrifice. S'il travaille autant, c'est pour nourrir sa famille, s'il devient passeur de drogues, c'est pour aider ses proches et sa communauté (empêcher la fermeture de son bar favori, rénover la patinoire). Au contraire il a l'air de penser que les femmes de sa famille sont des grincheuses hystériques jamais contentes.

On retrouve dans La mule les thèmes chers à Eastwood : la valeur du travail, le courage, le sens du sacrifice, les regrets, la famille, le goût de la liberté et de l'indépendance (illustrées par les grands espaces traversés et l'esprit libre penseur de ses héros). Le cinéaste considère qu'un homme, un vrai, travaille comme un bœuf, en étant son propre patron (pas une feignasse de fonctionnaire !) Il ne remet pas en question qu'à presque 90 balais, le dos plié en deux, Earl bosse toujours : la retraite, c'est pour les chochottes ! Le vieux avait l'occasion d'arrêter de trimer puisqu'il a fait faillite, mais non. Expulsé de chez lui comme d'autres habitants (la raison économique n'est pas évoquée, crise des subprimes ?) le personnage veut s'en sortir par ses propres moyens, même illégaux. Je me souviens d'avoir lu qu'Eastwood dénonçait les aides sociales, juste bonnes selon lui pour les feignants. Easwood ne cache pas ses valeurs politiques républicaines. Il a soutenu Trump, Reagan -un acteur héros de western comme lui- et a même été maire de sa ville. Earl s'en sort seul et doit se comporter en héros sacrificiel, car la famille, c'est sacré.
Il n'est pas anodin que le rôle de l'enfant qui reproche au père ses absences soit joué par la véritable fille d'Eastwood : en 88, il a renoncé à sa carrière de maire pour être plus proche de ses gamins...

En dépit de son rôle crapuleux, Earl stone nous est éminemment sympathique, aussi par son côté vieux dépassé par la modernité. Comme mémé nulle en nouvelles technologies, il ne sait pas se servir d'un portable (scène très drôle où il découvre le texto). Il se moque des jeunes qui ne peuvent plus rien faire sans téléphone ni google. Il est aussi touchant par sa façon de parler à tous, avec une naïveté et sincérité désarmante, sans calcul : "je crois que je n'ai jamais eu de filtre".
Par exemple lorsqu'il change la roue d'un couple de Noirs en panne :
"Ça me fait plaisir d'aider un copain négro
- Mais monsieur, c'est un terme offensant !
- Ah bon ?
- Oui il faut dire "black" (le mot nègre est utilisé jusque dans les années 60 sans être considéré péjoratif, comme "black" sera certainement jugé offensant dans 50 ans et remplacé par un autre terme.)

cinéma,clint eastwoodPar son attitude et son langage décalés, et l'humour que cela produit, Earl fait penser à un autre vieux dépassé par le monde moderne, celui de Gran Torino. Les deux films sont écrits par le même scénariste, Nick Schenk, on retrouve clairement sa patte. Les deux personnages sont des vétérans de guerre marqués par ce qu'ils ont vécu, et ils en sont revenus endurcis (Earl transporte 300 kg de drogue en chantant et n'a pas peur des plus grands barrons: "fiston, j'ai fait la guerre moi, c'est pas un gamin qui va m'impressionner"). Earl a dépassé le traumatisme d'avoir menacé (tué?) des gens en devenant altruiste (j'ai fait du mal, maintenant je le répare) et optimiste (je ne pourrais jamais rien vivre de pire, autant profiter de la vie, à quoi bon se tracasser). Le vieux de Gran Torino est à l'inverse ressorti de la guerre misanthrope (les hommes sont des ordures meurtrières et méritent de crever). Si le héros de Gran Torino est un vieux ronchon raciste qui s'ouvre peu à peu à autrui, celui de La mule est présenté comme un brave gars sociable aimé de tous. Comme il est vieux et fragile, il est touchant, on lui pardonne tout.
Entre les deux films, j'ai néanmoins préféré Gran torino, qui comporte plus d’enjeux, plus de rebondissements. car finalement, que voit-on le plus souvent dans La mule ? Surtout un vieux qui fait des aller-retour en voiture. Eastwood réussit néanmoins à nous passionner pour cet homme si étonnant et ambigu.

Le réalisateur paraît très affaibli dans ce dernier rôle, et je me suis inquiétée de devoir écrire bientôt sa rubrique nécrologique. Pépé a tout de même 88 ans ! Mais Bradley Cooper, son partenaire à l'écran, précise : "Ce qui est génial chez Clint, c’est qu’il a dû jouer le fait d’être vieux tellement il est en forme, il saute de sa chaise comme un kangourou."

Eastwood a le chic pour dénicher des histoires incroyables : L'échange et cet enfant disparu que la police remplace par un autre, Sully qui évite de justesse l'écrasement d'un avion, American sniper, Million dollar baby... Et désormais, ce passeur de drogues improbable. Si vous avez apprécié Gran Torino, vous aimerez La mule.

08/01/2019

Border, aux frontières de l'étrange

border.jpgTina est une douanière au physique aussi particulier que son talent. Les passagers défilent devant son poste, et elle sent ceux qu'elle doit arrêter, qui transportent de la contrebande ou de l'alcool. Elle sent, justement, littéralement. Avec son curieux nez qui ressemble plus à un groin, elle flaire les individus et sent leur culpabilité et leur honte. Un jour, elle voit arriver un homme au physique aussi étrange que le sien, qui va perturber son univers et ses certitudes...Voir la bande annonce en lien. 

Border a fait sensation au dernier festival de Cannes, où il a remporté le prix Un certain regard et a été encensé par la critique. J'ai vu le film il y a plus d'un mois, et je m'en souviens encore, moi mémé Alzheimer qui oublie ce qu'elle a vu la veille ("c'était sympa. Ça parlait de quoi déjà ?") Surtout, j'y repense encore souvent, tant Border est un ovni qui ne ressemble à aucun autre film et laisse une impression bizarre.

border persos.jpgIl est tiré d'un roman de John Ajvide Lindqvist, qui a déjà été adapté au cinéma à travers le film Morse, que j'avais adoré. Vous pouvez relire ma critique ici, je l'avais à l'époque classé deuxième meilleur film de l'année 2009.
On retrouve dans Border la même atmosphère étrange. Comme dans Morse, le réalisme bascule peu à peu dans le fantastique. Comme dans Morse, deux exclus vont s'assembler. Dans Morse, un collégien souffre-douleur se lie d'amitié avec une nouvelle élève, qui se révèle être un vampire. Dans Border, Tina est rejetée en raison de son physique, elle ne bronche pas pour se faire accepter. Elle vit en couple avec un homme qui profite simplement de sa gentillesse pour être nourri et logé gratuitement. Mais l'arrivée de Vore, cet être qui lui ressemble, va la faire changer. Lui n'hésite pas à affirmer ses différences et à s'opposer aux hommes qui le rejettent. Il va inciter Tina à vivre comme elle le souhaite et à ne plus refréner ses instincts.

border bois.jpgBorder, c'est la frontière entre normalité et étrangeté, réalisme et fantastique, entre animalité et humanité. Qu'est-ce qui définit être humain ? Agir avec bonté ? Alors pourquoi certains hommes sont "des animaux sans cœur", ne respectant rien, ni les humains, ni la nature ?
J'ai beaucoup aimé ce dernier point sur l'écologie. La grande sensibilité de Tina lui permet d'être proche de la nature et des animaux. Elle se ressource à leur contact, en marchant pieds nus dans la mousse, les renards et les cerfs viennent la voir spontanément... Lorsqu'elle emmène aux urgences sa voisine sur le point d'accoucher, elle s'arrête car elle a senti qu'une famille de chevreuils allait traverser la route. Comme j'aimerais être comme elle ! Enfin, avoir ce don, mais avec le physique de Blanche-neige qui gambade avec les animaux de la forêt en chantant "un jour mon prince viendra", pas avec la tête de Tina qui attire un monstre comme Vore !

Pour son rôle, l'actrice Eva Melander (vue dans les séries The bridge et Real humans) n'a pas hésité à subir 4 heures de maquillage par jour et à prendre 20 kilos (moi qui crise dès que j'en prends deux...) Elle est excellente, comme son acolyte.
Border est un film qui ne laisse pas indifférent, si l'on ne reste pas sur le port et se laisse embarquer dans cette histoire bizarre, qui prend des virages imprévus. Le film est parfois à la frontière du grand guignol, comme lorsque les deux héros aux physiques grotesques courent nus dans les bois et se laissent aller à leurs élans les plus bestiaux. On est sans cesse étonné, choqué, amusé, et parfois si désorienté qu'on peut décrocher. J'ai trouvé que le film aurait mérité d'être plus court et j'ai préféré Morse, plus délicat. Mais les amateurs de film de genre comme moi ou ceux qui veulent de l'originalité seront comblés !

Border, un film de Ali Abbasi, en salles demain.

 

07/01/2019

Les animaux fantastiques 2

cinéma, harry potter, les animaux fantastiquesEmprisonné à la fin de l'épisode 1, Grindelwald s'évade dans ce second volet. Il veut combattre les moldus, les non sorciers, et pour cela veut utiliser Croyance et ses pouvoirs particuliers. Les héros partent à leur recherche...
Mémé Alzheimer ayant subi un sortilège d'oubliette, j'ai pris soin de revoir l'épisode 1 avant de découvrir la suite. Bien m'en a pris, j'aurais été complètement larguée sans ça. Je n'ai pas trouvé l'histoire si complexe, mais les difficultés viennent du fait que l'on suivent beaucoup de personnages et leurs parcours dans des lieux différents, et que l'on alterne les scènes de l'un à l'autre : on est au ministère de la magie qui cherche Grindelwald, puis on se retrouve à Paris avec Grindelwald qui cherche Croyance, puis dans un cirque avec Croyance qui cherche sa mère, puis à Londres avec Dumbledore qui demande à Norbert de chercher Grindelwald et Croyance, puis Norbert va à Paris pour chercher Grindelwald, Croyance mais aussi sa copine Tina (qui cherche Croyance), puis Queenie cherche sa soeur Tina, puis Jacob cherche sa fiancée Tina, qui s'est perdue. Un peu comme le spectateur : mais où on est ? Qui suis-je où vais-je dans état gère ? qui c'est celui-là déjà ? Mais ils sont tous frères ?
On se perd car les personnages sont nombreux et tous liés : Leta Lestrange était la fiancée de Norbert mais va se marier avec le frère de celui-ci, Thésée (mais pourquoi changer de fiancé ?! rien n'est expliqué). Croyance est peut-être le frère de Truc, et Truc la demi-sœur de Bidule, mais peut-être plutôt de Machin en fait...

Cet imbroglio est le reflet des luttes fratricides entre sorciers, et on arrive à l'aspect le plus intéressant du film : le parallèle sombre entre la politique de 1930 et notre époque. Ce second volet montre comment l'on peut arriver à la guerre en se laissant berner par une propagande démagogue. Grindelwald séduit ses troupes en leur expliquant que le ministère de la magie est trop liberticide, que ses lois sont trop contraignantes : pourquoi les sorciers ne peuvent pas épouser qui ils veulent, pourquoi doivent-ils se cacher, et surtout pourquoi protéger les moldus, alors que ces hommes pratiquaient la chasse aux sorciers et vont provoquer la seconde guerre mondiale ? 

cinéma,harry potter,les animaux fantastiquesLes personnages sont déchirés et doivent prendre parti, pour ou contre Grindelwald, pour ou contre la guerre contre les moldus et le ministère. Le grand méchant est incarné par un Johnny Depp albinos plutôt convaincant. Son alter ego, Dumbledore, est représenté par Jude Law, assez étonnant dans ce rôle (j'imaginais le grand sorcier vieux depuis toujours, avec son immense barbe blanche et son peignoir débraillé, et pas en hipster  à veston).
Les plus intéressants selon moi sont le couple formé par la belle et naïve Queenie et le pataud sympatoche Jacob, seul moldu de la série et qui symbolise le spectateur découvrant l'univers des sorciers. Le héros, Norbert Dragonneau, refuse au début de s'engager comme Auror au service du ministère (son épouvantard -ce qui lui fait le plus peur- est de travailler dans un bureau, comme je comprends ce Gaston Lagaffe).
Il est à l'opposé de la fille dont il s'amourache, Tina, aussi rigide et stricte que les lois qu'elle fait respecter. Mais vraiment, que lui trouve t-il a cette porte de prison austère qui ne sourit jamais et qui se tient droite comme un i avec son balai dans le cul? Leur histoire d'amour ne fait pas rêver. L'ex de Norbert est beaucoup plus intéressante, la très belle Leta Lestrange (Zoé Kravitz, fille de), rejetée pour sa singularité, comme Norbert l'était. Dans ce volet celui-ci apparaît d'ailleurs franchement autiste, avec son refus de s'engager (une guerre ? je m'en fiche, laissez-moi avec mes animaux) ses regards de biais et son obsession pour les animaux ("tu es trop belle, tu as les yeux d'une salamandre")

Les animaux justement. Où sont-ils ? Ils devraient former le principal sujet, puisque la saga porte leur nom. Dans le premier film, les bestioles avaient leur importance, avec une intrigue qui tournait autour d'eux. Le héros cherchait (déjà) des animaux évadés et des scènes entières leur étaient consacrées (la magnifique séquence où Norbert présente à Jacob son zoo havre de paix pour les espèces menacées. Dans ce deuxième film, les animaux sont très secondaires : Norbert ne les cherche plus, il cherche Grindelwald et Croyance. Les bébêtes n'ont même plus d'utilité, à part crocheter une serrure qui pourrait s'ouvrir facilement avec un sortilège allohomora. Pourquoi Norbert ne se sert-il pas par exemple de la puissance du dragon qu'il a libéré pour neutraliser Grindelwald ?

En résumé un film plus sombre et complexe que le premier, qui m'a plu, avec de magnifiques décors et un Paris des années 30 très bien rendu. Mais un film à voir uniquement si l'on a vu récemment le premier volet et si l'on est familier de l'univers de Harry Potter. Moldus, passez votre chemin, apprentis sorciers, courez en salle !

 

22/10/2018

A la télé ce soir : Toy story

toy story.jpgC'est les vacances ! Et on le remarque avec le programme télé, rempli de films d'animation cette semaine.
Ce soir, C8 programme Toy story. Il est le premier long métrage entièrement réalisé en images de synthèse, en 1995. Un prof nous l'avait fait étudier à la fac de ciné, non seulement pour la révolution esthétique que ce film a créée, mais surtout pour son scénario.
Les jouets du petit Andy prennent vie lorsqu’il a le dos tourné. Quand j'étais petite, je possédais le livre La nuit où tous les jouets s'animèrent qui me terrifiait, car j'avais surpris mon grand frère en train de regarder Chucky et j'imaginais que ma poupée allait venir me découper dans la nuit pour se venger du 4/10 que je lui avais mis à sa dictée en jouant à la maîtresse.

Rien de cauchemardesque dans Toy story, les jouets sont gentils. A chaque anniversaire, ils craignent d'être remplacés par un nouveau venu plus performant ou original, comme le cinéma d'animation classique de l'époque pouvait le craindre des films de synthèse comme Toy story. La peur des jouets est fondée : pour ces 6 ans, Andy reçoit le tout nouveau robot gadget et délaisse son vieux cowboy Woody.

A son âge je possédais peu de jouets (« On n'a pas la place ! T'as qu'à prendre les vieux jouets de tes frères ! ») (génial, justement j’adore les voitures et les G.I Joe…) Le père noël ne m'amenait pas les derniers jeux à la mode qui permettaient aux élèves de crâner à la rentrée (« un ordinateur ? Mais pour quoi faire ? » J'ai obtenu mon premier PC en 2007...), mais je me souviens avoir quand même reçu des petits malins, Gaby l'ami des touts petits, un Bisounours (le pourtant petit « grostaquin » (ma copine avait eu le plus grand « gros câlin » qui pouvait articuler ses pattes, je l'enviais) et un Popple que j'adorais (j'avais décrété que c'était un rebelle qui jouait de la guitare électrique). Ils n'ont pourtant jamais supplanté dans mon cœur Lapinou, ma première peluche reçue à ma naissance, que je garde toujours (dans mon ancienne chambre d'enfant hein, pas dans mon lit d'adulte).

Toy story traite de la nostalgie de l'enfance, mais aussi de constance et fidélité, à nos idéaux et rêves, à nos jouets ou proches… Le film pointe également une critique de la société de la consommation, où tout ce qui est nouveau fait envie, discours auquel mémé reste hermétique.

Je me souviens qu'un lundi au collège, plusieurs élèves sont arrivés avec le même sac à dos, des Eastpak. J'étais persuadée qu'ils étaient des objets publicitaires distribués gratuitement par les camions qui s'installaient souvent sur la grande place : pourquoi tout le monde porterait le même sac sinon ? Quand mes camarades m'ont avoué avoir payé dix fois le prix habituel pour un simple cartable, tout simplement parce qu'il était à la mode, je suis tombée des nues. J'avais 11 ans et c'était ma première grande découverte de l'abrutissement des masses par la publicité. Les élèves, puis des années après, les enfants que je gardais en baby sitting, déploraient le manque de tenue de leurs eastpak qui se déchiraient rapidement. Eh bien figurez-vous que je possède toujours mon sac à dos du collège que j'avais acheté à l'époque 20 francs. Indémodable, indestructible.
A la même période, j'ai découvert le scandale des enfants Chinois qui fabriquaient des Nike pour quelques centimes. Le jour-même, j'ai décrété que jamais plus je ne porterai cette marque, ni aucune autre. Je n'ai pas dérogé à cette règle. Cet été, des dizaines d'années plus tard, j'ai dû changer mes baskets, les miennes rendant l'âme. Faire les magasins et particulièrement acheter des chaussures est pour moi une torture. Impossible de trouver une paire sans marque, ou sans fioritures inutiles : je veux du sobre, du noir que je pourrais porter des années jusqu'à déchirure de la semelle. Une paire de nique correspondait à mes critères, ma mère a proposé de me les offrir vu le prix exorbitant, j'ai évidemment refusé :
« Je refuse de porter des marques
- Quelle idée : tu es bien bizarre !»

Il y a que les cons qui ne changent pas d’avis, mais pour les valeurs essentielles, pourquoi aurai-je sacrifié mes idéaux ?
J'ai passé l'été à me tordre la cheville, jusqu'à voir ma nièce : en pleine croissance, l'ado avait porté une seule fois une paire de baskets noires. Exactement ce qu'il me fallait. Je n'ai même pas eu besoin d'acheter des chaussures.
On m'a ensuite félicité :
« elles sont classes ! C'est quelle marque ?
- Aucune. Et elles coûtent 12 euros.
- Oui mais elle vont pas tenir longtemps. Une marque, c'est plus solide.
- C'est tout le contraire, tu paies juste le nom célèbre. et comme les gens qui achètent des marques sont justement accros à la nouveauté et vont bientôt changer de chaussures pour un nouveau modèle, les baskets de marque ne sont pas faites pour durer. Mon ancienne paire à 12 euros a tenu 6 ans en les portant quotidiennement…»

Bref, tout ça pour dire que Toy story recèle plusieurs messages, pour petits et grands, et que je suis particulièrement sensible à celui sur la fidélité à nos objets. Je n'ai toujours pas trouvé le courage de jeter mes baskets déchirées, elles m'ont accompagnée dans tant de promenades... On ne sait jamais, elle pourraient me dépanner encore...