25/02/2022
Mon évasion
L'évasion, c'est celle d'une femme qui remet en question le chemin balisé et fermé de mère au foyer qu'on lui destine, pour devenir écrivain. On pourrait comparer cette autobiographie de Benoîte Groult à celle de Simone de Beauvoir, Mémoires d'une jeune fille rangée (j'avais adoré, à lire en lien) puisque l'auteure raconte également son enfance privilégiée au sein d'un milieu bourgeois et artistique : son père est un maître de l'art déco et sa marraine est Marie Laurencin ! ("avec ta robe longue, tu ressemblais à une aquarelle de Marie Laurencin"). De plus, comme Beauvoir, Benoite Groult a acquis son indépendance en travaillant.
Elle se marie en 1946 à Georges de Caunes (père d'Antoine) animateur radio célèbre qui parcourt le globe en la laissant seule à la maison avec les mioches. Elle confie ses déboires conjugaux au meilleur ami de son mari, Paul Guimard (auteur des Choses de la vie, transposé à l'écran par Claude Sautet avec la b.o la + triste au monde, la chanson d'Hélène, diffusée en boucle dans l'expo Romy Schneider, ponctuée des reniflements de pleurs des visiteurs). Patatras, les deux compères deviennent amants, divorcent et se remarient ensemble jusqu'à ce que la mort les sépare, + de 50 ans après.
Son nouvel époux l'encourage à développer son indépendance et ses talents d'écrivain. Elle travaille pour des magazines féminins, publie des romans, et ce n'est que tardivement qu'elle relève les inégalités de traitement entre les hommes et les femmes, à travers un constat plein d'humour et de bon sens, dans Ainsi soit-elle. Essai écrit en 1975, mais qui malheureusement est toujours d'actualité aujourd'hui.
C'est grâce à Benoîte Groult que certains mots désignant des métiers ont pu être féminisés, car comment concevoir que les femmes puissent être égales de leurs collègues si le terme qui les représente n'existe même pas ? : "Je crois au dynamisme du langage, et je suis convaincue que dans dix ans, on trouvera ridicules les "précieuses" qui continueront à dire "Mme LE ministre, Madame le maire, madame le professeur..." Effectivement, mais le terme "écrivaine" pose encore débat (pourtant, au moyen-âge, le terme doctoresse était employé par exemple !) Je peux témoigner, en 2022 : le métier que j'exerce n'a pas de nom féminin, et on m'a repris quand j'ai rajouté un "e" : "ça n'existe pas". Pourtant, la moitié de mes collègues sont des femmes ! Mon évasion du monde du travail n'est pas pour tout de suite malheureusement.
Mon évasion et Ainsi soit-elle de Benoîte Groult.
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23/02/2022
Bilan lecture 2021 : 54 livres
J'ai rédigé en décembre puis oublié de publier, comme d'habitude...
Je préfère toujours les essais, faits-divers et biographies. La réalité dépasse souvent la fiction, alors pourquoi lire des romans quand à chaque page d'une enquête criminelle, je m'exclame : "ce type est complètement dingue !" ou "C'est pas possible, les flics n'ont pas vu ça ?" Dans un livre policier, les mêmes faits me laisseraient dubitative : "mouais, c'est un peu gros, exagéré…"
Je lis parfois des romans, mais j'apprécie surtout les semi-autobiographiques, comme ceux d'Emmanuel Carrère (j'ai lu la majorité de ses livres, plus ou moins bons) et ceux de Philippe Jaenada, mon écrivain préféré que je suis depuis ses débuts, et qui rencontre enfin le succès depuis son excellent La petite femelle. Je dévore en ce moment son dernier ouvrage, Au printemps des monstres, super aussi.
BIOGRAPHIES :
Coups de cœur :
- Ecriture, mémoires d'un métier de Stephen King, 2000
Dans une première partie sobrement intitulée "Cv" le romancier à succès revient avec pudeur et humour sur son enfance et son parcours, difficiles et chaotiques. Ensuite, il livre des précieux conseils d'écriture. Très instructif, même sans avoir une vocation d'écrivain.
- Femmes de dictateur de Diane Ducret, 2011
- L'adversaire d'Emmanuel Carrère
Bien :
- Unorthodox de Deborah Feldman
- Mon évasion de Benoîte Groult
Pas mal :
- Mon suicide Henri Roorda, 1925
- Jane Austen, une passion anglaise de Fiona Stafford, 2019
- Un portrait de Jane Austen de David Cecil, 1978
- Ma vie avec Virginia de Léonard Woolf (Extraites du volumineux journal de celui qui partagea la vie de Virginia Woolf de 1912 à 1941)
- Vies écrites de Javier Marias, 1992
Biographies d'écrivains célèbres, sous des angles originaux et méconnus.
BD / ROMANS GRAPHIQUES :
Biographies :
Coup de cœur :
- L'arabe du futur, Riad Satouf tome 5
Pas mal :
- Chroniques de jeunesse de Guy Delisle, 2021
- Une vie avec Alexandra David-Néel de Frédéric Campoy et Marie-Madeleine Peyronnet, 2016
- Hollywood menteur de 2019, Luz
Santé / sciences /société :
Coup de cœur :
- Lanceurs d'alertes de Flore Talamon et Bruno Loth
Bien :
- Tu mourras moins bête tome 5 de Marion Montaigne
- Neurocontes, Histoires (de cerveau) extraordinaires
- La différence invisible de Julie Dachez et Mlle Caroline, 2016
- Extinctions, le crépuscule des espèces de Jean-Baptiste de Panafieu, 2021
Pas mal :
- Patient zéro, à l'origine du coronavirus en France
Humour :
Bien :
- Gaston, au-delà de Lagaffe
- Le département des théories fumeuses, de Tom Gauld
Pas mal :
- Chaque jour est une fête Le Voutch
- Le futur ne recule jamais, Le Voutch
- Quelques artistes et gens de lettres de Sempé
SOCIETE :
Coups de cœur :
- Les Narcisse : Ils ont pris le pouvoir, de Marie-France Hirigoyen, 2019
- La tête haute, guide d'autodéfense intellectuelle, Mathilde Levesque, 2019
- Rue J-P Timbaud de Géraldine Smith, 2016
Bien :
- La civilisation du poisson rouge de Bruno Patino, 2019
- Les nouvelles solitudes de Marie-France Hirigoyen
- 1900-2000 Cent ans de souvenirs et d'événements
Pas mal :
- Chroniques de vies ordinaires de Valérie Agha, 2010
- Trump Le feu et la fureur de Michael Wolff, 2018
- Le charme discret des séries de Virginie Martin, 2021
LES NANAS :
Coup de cœur :
- Sorcières, la puissance invaincue des femmes, Mona Chollet, 2019
Bien :
- Ainsi soit-elle de Benoîte Groult, 1975
Pas mal :
- Présumées coupables, les grands procès faits aux femmes
SCIENCES / SANTE :
Coups de cœur :
- L'astronomie de l'étrange de Yaël Nazé, 2021
Bien :
- Aspergirl et fière de l'être d'Alexandra Reynaud
- Le surdoué et l'amour de Monique de Kermadec
- Agir et penser comme un chat de Stéphane Garnier, 2017
ROMANS :
Bien :
- So phare away d'Alain Damasio, 2015
Pas mal :
- Yoga d'Emmanuel Carrère
- Pastorale américaine de Philip Roth, 1997
- Les 21 jours d'un neurasthénique d'Octave Mirbeau, 1901
Bof :
- Un cas de divorce, Maupassant
- La main gauche, Guy de Maupassant
- Yvette de Maupassant
- Apparitions de Guy de Maupassant
- Contes d'hiver de Karen Blixen, 1942
AMAZONIE :
Coups de cœur :
- La cité perdue de Z de David Grann, 2009
- La cité perdue du dieu singe de Douglas Preston, 2017
Bien :
- L'amazone, un géant blessé d'Alain Gheerbrandt
- L'expédition Orénoque amazone d'Alain Gheerbrandt
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26/05/2021
Unorthodox, le livre
Lire sur la série ici.
Dans le livre, l'auteure explore en détails les règles incroyables de sa communauté, beaucoup plus que la série. Et c'est absolument fascinant. Elle est issue d'une secte ultra secrète, ultra pudique, mais elle raconte avec une facilité déconcertante des détails intimes que même une personne libérée n'oserait pas dire : sa nuit de noces (aussi relatée plus brièvement dans la série) les problèmes sexuels de son couple, les défauts sordides de ses proches...
Au début, étonnée, j'assimilais cette foison de détails à du voyeurisme, mais l'autrice raconte avec une telle candeur, que j'y vois juste une femme qui a tellement souffert de ne pas pouvoir s'exprimer librement, qu'aujourd'hui, elle tombe dans l'excès inverse. Sa démarche est bénéfique, pour elle, mais aussi pour d'autres empêtrés dans de telles familles comme elles, qui souhaiteraient s'en libérer.
Elle nous livre tout d'un bloc, on sent qu'elle l'a fait au fil de ses souvenirs, dans l'urgence, comme par peur d'oublier ensuite. Mais le problème, c'est que sa pensée et son livre ne sont ainsi pas structurés : d'un paragraphe à un autre, sans même sauter de ligne, elle passe à une toute autre idée. Dans la même page, elle peut parler de 2 anecdotes, 2 personnages, 2 sujets différents, pour revenir plus loin dessus. Ses phrases sont mal tournées, et comportent même des fautes de grammaire et de conjugaison (mais qu'a fait le traducteur !!) J'ai donc eu du mal à me plonger dans son histoire, mais elle est si intéressante, fourmille de tant d'informations passionnantes, que j'ai vite occulté les défauts de l'écriture. Ses problèmes de langage résultent certainement du fait que dans sa communauté, elle avait interdiction de parler anglais et de lire des livres.
La secte est régie par des interdits mais s'embourbe dans les incohérences. Par exemple :
- Les garçons ne côtoient pas les filles et l'héroïne a vu une seule fois son mari avant de l'épouser. Le sexe hors procréation est un péché, l'homosexualité, la masturbation aussi. Lorsqu'un père surprend son fils en train de se masturber, il... lui coupe le sexe à la hâche ! Pourtant, dans l'école du mari, les adolescents se touchent entre eux, sans souci !
- La femme est impure 7 jours avant et 7 jours après ses règles, son époux n'a même pas le droit de la toucher, ne serait-ce que la main. Mais pour être sûre que sa femme est enfin redevenue "pure", le mari porte ses dessous et ses serviettes hygiéniques au rabbin pour vérifier s'ils sont ensanglantés ou pas !
Après ses menstruations, et avant son mariage, la femme doit se laver scrupuleusement chaque cm du corps, longuement, puis se plonger dans un bassin spécial, immaculé. Mais l'autrice y attrape une maladie de peau : toutes les futures mariées se baignaient dans la même eau !
- Une fois mariée, la femme doit raser sa tête, mais porte ensuite une perruque constituée de cheveux naturels. Lorsque les membres de la secte apprennent que les cheveux sont prélevés sur de pauvres Indiennes, donc des femmes qui n'ont pas la même religion, scandale, outrage, les perruques impures sont brûlées.
- Au sein de la même secte, plusieurs rabbins érigent leurs propres règles, se disputent le pouvoir et se portent des coups bas mesquins...
Et ça continue, à chaque page, une nouvelle déconcertante.
Je vous encourage ainsi vivement à lire cet ouvrage, et à voir la série !
Série Unorthodox, sur Netflix.
Livre Unorthodox, comment j'ai fait scandale en rejetant mes origines hassidiques de Deborah Feldman.
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25/05/2021
Unorthodox
Une femme juive ultra orthodoxe de New-York s'enfuit à Berlin pour être libre. Sa famille ne l'entend pas de cette oreille et se lance à ses trousses.
La secte étant très secrète et fermée, je n'en connaissais pas toutes les règles, très strictes, et les découvrir ici m'a fascinée. De même que la découverte du monde par cette jeune femme qui était coupée de tout, sans accès à internet, aux livres et à la musique. Des flash-backs entre son présent de femme moderne et son passé où elle était empêtrée dans des consignes hyper contraignantes, accentuent le contraste saisissant entre ces deux univers que tout oppose. C'est plus son passé qui m'a intriguée, que le présent, un peu trop facile.
Candide, l'héroïne part sans rien, sans peur, mais à la chance de tomber immédiatement sur des gens sympas qui l'adoptent : elle arrive à Berlin, erre dans la rue, entend de la musique, rentre dans le bâtiment d'où le son vient, le conservatoire, va s'adresser aux musiciens, qui lui proposent de partir au lac se baigner avec eux et l'intègrent à la bande sans question, comme si elle en faisait partie depuis toujours. Moi ça fait 6 ans que je côtoie les mêmes collègues quotidiennement, on n'a jamais pris un verre après le boulot, chacun rentre chez soi. Si j'échange plus de 3 phrases avec eux, ils me regardent avec un air qui signifie "d'où ose t-elle, qui est cette personne ?" La gentillesse légendaire des Parisiens têtes de chiens peut-être.
J'ai donc trouvé que la nouvelle vie de l'héroïne était un peu trop simple, et j'étais étonnée de savoir que la série était adaptée d'une histoire vraie, celle de Deborah Feldman, "comment j'ai fait scandale en rejetant mes origines hassidiques." . Curieuse, j'ai donc lu le livre.
A part le principe d'une femme qui s'enfuit de sa communauté, l'ouvrage n'a pas grand chose à voir avec la série. Cette dernière commence avec la fuite de la femme et alterne passé et présent, le livre raconte uniquement son passé et s'arrête le jour où elle réussit à s'enfuir. Dans la réalité, elle n'a donc pas connu cette bande de musiciens curieusement si sympathiques, mais s'est inscrite à un cours d'écriture à la fac, y a rencontré des amis et sa future éditrice.
Dans le livre, l'auteure explore en détails les règles incroyables de sa communauté, beaucoup plus que la série. Et c'est absolument fascinant.
Suite demain...
Série Unorthodox, sur Netflix.
Livre Unorthodox, comment j'ai fait scandale en rejetant mes origines hassidiques de Deborah Feldman.
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13/03/2021
La nuit, j'écrirai des soleils
Boris Cyrulnik a popularisé le concept de résilience. J'apprécie sa douceur et son optimisme. J'ai lu quasiment tous ses livres, mon préféré reste "autobiographie d'un épouvantail".
Ce dernier ouvrage promettait de me plaire : le neuropsychologue constate que la majorité des écrivains, surtout du 19e, étaient orphelins. Il en conclut que l'art a transcendé leur manque. L'écriture leur a aussi permis de sortir de l'isolement, en créant une communion d'émotions partagée par les lecteurs.
C'est justement un constat que j'ai fait jeune, en lisant les biographies en postface de mes livres scolaires. Je me disais qu'un jour, si j'ôtais mon poil dans la main (à ce niveau on peut carrément parler d'un cheveu de Raiponce) je ferais des recherches pour le démontrer. Cyrulnik a bossé à ma place, ouf.
L'avantage et l'inconvénient à la fois, c'est qu'il se répète, à travers toute son œuvre mais aussi dans le même bouquin. Par exemple, dans un précédent livre (je ne sais plus lequel), il citait un enfant qui réussit à se cacher lors d'une rafle allemande. Dans son autobiographie, il raconte encore cet épisode, mais en avouant que cet enfant, c'était lui, sans dire qu'il l'avait déjà révélé anonymement.
Cyrulnik ne manque ni de cohérence ni d'organisation, mais il a tellement peur de ne pas être compris du grand public en expliquant des concepts psy (attachement secure/insecure, résilience, etc...) qu'il reformule ses phrases (j'ai le même souci). Comme j'ai la mémoire qui flanche, je me souviens plus très bien, ce procédé m'arrange, mais Boris devrait peut-être consulter un confrère pour ce problème de radotage.
J'ai pris 6 pages de notes sur le bouquin. Je vous en livre 2, en 2 parties. J'ai regroupé les extraits qui traitent de l'écriture, en enlevant ceux qui détaillent les concepts psys. Je n'ai pas suivi l'ordre du livre, car parfois, l’auteur parle d'un sujet, puis d'un autre, pour revenir plus loin sur le premier thème.
Besoin du manque pour créer :
p 85 : " Le manque aiguillonne le plaisir de vivre, c'est dans le noir qu'on espère la lumière. Sous la pluie on attend le soleil, en prison on rêve de liberté. "Ecrire pour sortir de prison ou pour oublier qu'on n'a pas de famille" dit l'écrivain T. Ben Jelloun. Que voulez-vous écrire quand on est aimé par de braves gens, qu'on se routinise à l'école, quand on gagne sa vie avec un petit boulot ? Rien. Rien à dire, rien à écrire. Normal quoi. rien.
Sans manque, nous n'aurions rien à créer. Sans rêves, nous serions inertes. Notre existence ne serait qu'un vide, un non sens pire que la douleur.
p 133 : "Quand il n'y a pas d'autre à aimer, on se replie sur soi. Mais quand on aime un autre et qu'il vient à manquer, il faut des mots pour combler le vide. Cela explique pourquoi "la fréquence de l'orphelinage ou des séparations précoces dans les populations créatives est un fait frappant". (André Haynal, dépression et créativité)
Vite, un récit pour évoquer ce qui a disparu. Sur 35 écrivains français les plus célèbres du 19e, 17 ont subi une perte, mort ou séparation d'un ou des deux parents. Balzac, Hugo, Rimbaud, Dumas, Maupassant mais aussi Baudelaire, Rousseau, Poe, Voltaire, Dostoïevski... Plus tard, Mallarmé, Sartre, Cocteau, Genet...
Les récits qu'on construit pour remplir ce vide créent un sentiment d'existence, malgré tout."
p 111 : "Un deuil est une perte douloureuse qui contraint à la créativité. "
Une création naît de l’absence, c'est ainsi qu'elle parvient à tisser des liens invisibles.
p 296, conclusion : "Je ne suis plus seul au monde, les autres savent, je leur ai fait savoir. En écrivant j'ai raccommodé mon moi déchiré ; dans la nuit, j'ai écrit des soleils."
15:11 Publié dans On connaît le livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : psychologie, littérature | | Facebook
12/11/2020
Je fais de toi mon essentiel
"Comment s'en sortir sans sortir ? Lire des livres délivre." Pourtant le gouvernement a ordonné la fermeture des librairies. Un confinement suppose des restrictions, on ne pouvait pas laisser tous les commerces ouverts. Le problème est de s'accorder sur ceux qui obtiennent le sésame (les supermarchés ou au contraire, les petites boutiques comme en Espagne ?) Qu'allait-on supprimer ? L'accès aux coiffeurs, aux fleurs, au chocolat ? Quels produits sont considérés essentiels ?
Je fais de toi mon essentiel
Celle que j'aimerai plus que personne
Ma tartiflette
Les produits de beauté ont d'abord été jugés superflus. J'avais une pensée narquoise émue pour les mecs découvrant le vrai visage de leur copine sans artifice. Je n'utilise pas de maquillage, je suis naturellement belle. Non en réalité, c'est que je n'aime pas me maquiller, le fond de teint me colle comme du plâtre, quand je l'enlève, ma peau sensible brûle. J'ai l'impression de ressembler à un clown peint (et plutôt celui de Ca que Zavatta) et comme mes yeux pleurent à cause du vent/du froid/de la bêtise humaine/de la fin du Tombeau des lucioles-de Six feet under, le mascara coule et je me transforme en panda.
Le maquillage a finalement été rétabli, et l'accès aux livres, supprimé, jugé non essentiel.
"Nous vivons dans une société où beaucoup croient que les bibliothèques et autres activités culturelles sont d'une importance mineure. Comme si apprendre à penser était une chose qui se fait naturellement, comme apprendre à marcher. Apprendre à penser est la suite d'un travail acharné et d'un effort constant. Chaque jour, la lecture diminue et la pensée analytique aussi (...) La capacité à penser clairement et logiquement conduit à de bonnes décisions et je crois que la capacité de penser clairement augmente avec la capacité de lire." Stephen King, Le mal nécessaire. (dispo jusqu'au 21/12)
Beaucoup ont profité du premier confinement pour lire, loisir qu'ils ne prenaient pas le temps de faire auparavant. La fermeture des librairies a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux. Un pas de plus et on brûle les ouvrages comme dans Fahrenheit 451 !
La polémique était telle que le gouvernement a fait machine arrière. il a réautorisé les librairies, comme pour le maquillage ? Non, il a demandé aux grandes surfaces qui vendaient des livres de ne plus le faire.
Un peu comme un parent qui arbitre maladroitement un conflit entre ses mioches :
Avec l'un qui chouine "Pourquoi Gaston il a le droit de jouer à Mortal combat et pas moi !"
Et qu'au lieu d'expliquer "C'est parce qu'il est plus grand que toi !"
Le parent s'énerve "Eh bien puisque c'est comme ça, plus personne ne joue ! Je confisque la play station !"
On arrive donc à des situations ubuesques, où les grandes surfaces sont ouvertes, mais l'accès aux rayons des livres est interdit. Si l'on veut un livre, il faut faire la queue à l'accueil, le commander, pour le recevoir quelques jours plus tard dans ce même magasin.
Si le supermarché est déjà ouvert, je ne vois pas en quoi fermer des allées empêchera la propagation du virus. Au contraire, plus on cloisonne les gens dans un espace restreint, plus l'épidémie circule facilement. Lorsqu'on me colle trop dans les magasins, je me réfugie dans les allées où les gens ne viennent pas (à côté des choux de bruxelles).
Comme si le problème venait des livres et non de la propagation du virus.
Je ne suis pas la seule à m'étonner. A en croire les nombreuses réactions indignées contre la fermeture des petits commerces, les Français passeraient leur temps dans les librairies de quartiers et consommeraient les livres comme des pâtes ou du PQ. Ca me fait un peu penser aux nombreux téléspectateurs affirmant qu'Arte est leur chaîne préférée, alors que l'audimat les contredit.
Dans ma cambrousse, l'unique librairie du village a fini par fermer faute de clients. Les seuls accès aux livres restaient le supermarché, et désormais, internet seulement. Beaucoup estiment que les lecteurs se retourneront fatalement vers Amazon, mais moi je n'ai jamais rien acheté sur internet, je n'ai donc jamais utilisé ce site, je n'engraisse pas Jeff Bezos.
Ceux qui déplorent la fermeture des petites librairies sont souvent de grands consommateurs de livres. Sur internet, j'ai remarqué qu'ils aiment bien afficher leur PAL ( "Prêt à lire") et c'est un peu à celui qui en aura une plus grosse que celle du voisin. Ca me donne l'impression que le livre est plus un objet de consommation et de symbole d'érudition qu'un véritable outil de connaissance, car ces mêmes personnes se plaignent aussi de ne pas arriver au bout de leurs livres et d'en acheter de nouveaux alors qu'ils en ont encore non lus qui s'accumulent.
Je lis beaucoup de livres, mais j'en achète guère et ma bibliothèque est peu fournie. Les DVD, c'est encore pire : je n'en possède que 5, tous offerts, et pourtant je regarde un film par jour.
Evidemment je me désole pour les libraires, mais moi ce qui me perturbe surtout dans mon quotidien, c'est la fermeture des bibliothèques. Les livres, je ne les achète pas, je les emprunte. Ils coûtent chers, et quand on en lit un par semaine, ça représente une somme. De plus, je ne saurais pas où les placer dans mon 20 mètres carrés. Pour tenir jusqu'à la fin du confinement, il ne me reste que 2 livres, (Les nouvelles solitudes et les Narcisse de Marie-France Hirigoyen). Ils devraient me suffire pour la fin du confinement dans 2 semaines, mais quelque chose me dit que l'on ne sortira pas début décembre comme initialement prévu... Pas grave, je relirai les rares ouvrages que je possède, comme Idées noires de Franquin ou Le misanthrope de Molière !
18:36 Publié dans Con finement, On connaît le livre | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, confinement | | Facebook
27/06/2020
Le cactus
Le monde entier est un cactus
il est impossible de s'asseoir
Dans la vie, il y a que des cactus
Moi je me pique de le savoir
J'ai commencé jeune ma vocation de glandeuse mauvais esprit en prenant comme modèle Gaston Lagaffe, puis ado en lisant le cultissime Le droit à la paresse de Paul Lafargue. J'engloutis les récits et documentaires sur le travail (Libre et assoupi, ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés, L'open space m'a tuer, Malaise au travail, le harcèlement moral). Je savais que j'allais subir ce qui étaient décrits dans ces oeuvres sans même avoir encore commencé à trimer.
Je relis pour la troisième fois Bonjour paresse après l'avoir prêté à une personne indigne de le lire et comprendre. Pourtant, Corinne Maier (dont j'ai lu quasiment tous les livres, comme le génial No kid) me prévient dès l'introduction :
"Avertissement : ami individualiste, passe ton chemin
Toi l'individualiste, mon frère d'armes et de coeur, ce livre ne t'est pas destiné, car l'entreprise n'est pas pour toi. Le travail dans les grandes sociétés ne sert qu'à menotter l'individu qui, laissé à lui-même, se servant de son libre entendement, pourrait se mettre à réfléchir, à douter, voire, qui sait, à contester l'ordre ! Et cela, ça n'est pas possible. Si l'individu se trouve parfois porteur d'idées nouvelles, il ne faut à aucun prix que celles-ci dérangent le groupe. Il est clair que dans un monde où il est conseillé d'être souple, bien vu de changer son fusil d'épaule toutes les cinq minutes et en rythme avec les autres, l'individualiste est brandon de discorde. Aussi, on lui préfère le pleutre, le mièvre, l'obéissant, qui courbe le dos, joue le jeu, se coule dans le moule et, finalement, réussit à faire son trou sans faire de vagues.
Or non seulement notre sauvageon individualiste est incapable de faire comme les autres, mais quand en plus il a des idées arrêtées, il renâcle au compromis : il inspire donc légitimement la méfiance. Les DRH le voient venir de loin: raideur, obstination, entêtement, sont les qualificatifs qui fleurissent dans son dossier à la rubrique graphologie. Et cela, ne pas savoir se plier, c'est moche; moche de sortir du travail dès sa tâche de la journée accomplie; moche de ne pas participer au pot de fin d'année, à la galette des rois, de ne pas donner pour l'enveloppe du départ en retraite de Mme Michu; moche de rentrer à l'hôtel en trombe dès la réunion terminée avec les partenaires; moche de repousser le café proposé pendant la pause-café, d'apporter sa gamelle alors que tout le monde déjeune à la cantine.
Ceux qui se comportent ainsi sont considérés par leurs collègues comme des cactus de bureau car la convivialité est exigée, sous forme de pots, de blagues convenues, de tutoiements et de bises hypocrites (toutes choses à simuler sous peine d'exclusion).
Mais peut-être nos plantes rugueuses ont parfaitement compris quelle était la limite à ne pas franchir entre le travail et la vie personnelle. Peut-être ont-elles réalisé qu'être tout le temps disponible pour une succession invraisemblable de projets, dont la moitié sont complètement idiots et l'autre moitié mal emmanchés, c'est à peu près comme changer de partenaire sexuel 2 fois par an : quand on a 20 ans, la chose peut avoir son charme mais, au fil des années, cela finit par devenir franchement une corvée."
Je réponds en tout point à la description du cactus donné par l'autrice.
Suite demain
16:16 Publié dans On connaît le livre, Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : travail, chômage, comment supporter ses collègues | | Facebook
15/04/2020
Fun home
Non ce n'est pas un article sur mon confinement dans un trou de 20 mètres carrés, mais presque : une histoire vraie se déroulant dans un funérarium.
J'ai évoqué Alison Bechdel dans mon article sur Tout peut changer, le documentaire sur la place des femmes dans le cinéma. L'autrice a élaboré un test pour mesurer le sexisme dans les films :
- Il doit y avoir au moins deux femmes nommées (nom/prénom) dans l’œuvre
- qui discutent ensemble
- et qui parlent de quelque chose qui est sans rapport avec un homme.
Le verdict est sans appel : environ 60 % des films échouent au test.
Mais ce n'est pas à travers son attachement à la cause féministe que j'ai connu Alison Bechdel, mais tout simplement parce qu'elle écrit des bd biographiques, et comme je suis férue du genre, j'en ai lu deux pour le moment.
J'ai beaucoup apprécié sa plus connue, Fun home. Titre ironique, car l'auteure a passé son enfance dans un funérarium, où son père, un être peu aimant et psychorigide, exerçait. Forcément le lieu et le thème, mêlant humour macabre et mélancolie, m'évoquent Six feet under, la géniale série d'Alan Ball (American beauty).
Alison suppose que son père s'est suicidé car il n'assumait pas sa bisexualité. Très fun donc.
Après son père, l'autrice décortique cette fois-ci ses relations avec sa mère, dans le roman graphique C'est toi ma maman ?
Non ce n'est pas pour les enfants de 3 ans. Élu à l'unanimité de moi-même grand vainqueur dans la catégorie "titre le plus niais". J'ai moins apprécié ce livre. L'auteure emploie un jargon psy intello parfois plombant. Elle relate sans tendresse ses rapports avec sa mère, mais aussi avec ses différentes petites amies, son homosexualité, et sa psy. Elle prend bien soin de répéter trois fois que son analyste lui confie qu'elle la trouve "adorable" : "je vous aime beaucoup". Un contre-transfert fréquent mais qui pourrait flinguer la carrière de la psy et que la patiente aurait pu taire, par respect pour cette personne qu'elle admire tellement, et dont elle tombe amoureuse. Comme tous les 4 matins à priori : elle change de partenaires comme de chemises, en ayant plusieurs à la fois, ne sachant pas ce qu'elle veut, ni ce qu'elle ressent.
Une fille très compliquée que j'ai du mal à apprécier pleinement. Ses confidences très poussées me mettent parfois mal à l'aise. Elle se plaint beaucoup de ses parents, mais je trouve sa mère plutôt cool de ne pas s'offusquer de voir le linge sale familial étalé en place publique. Faites des gosses, ils vous le rendront au centuple.
Moralité : mieux vaut adopter un chat, il n'ira pas raconter dans une bd que vous ne lui avez pas donné assez de croquettes. Et il héritera de votre fortune, comme Poupette avec Lagerfeld.
20:17 Publié dans On connaît le livre, On connaît le livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, bd, roman graphique, littérature, bd, roman graphique | | Facebook
Fun home
Non ce n'est pas un article sur mon confinement dans un trou de 20 mètres carrés, mais presque : une histoire vraie se déroulant dans un funérarium.
J'ai évoqué Alison Bechdel dans mon article sur Tout peut changer, le documentaire sur la place des femmes dans le cinéma. L'autrice a élaboré un test pour mesurer le sexisme dans les films :
- Il doit y avoir au moins deux femmes nommées (nom/prénom) dans l’œuvre
- qui discutent ensemble
- et qui parlent de quelque chose qui est sans rapport avec un homme.
Le verdict est sans appel : environ 60 % des films échouent au test.
Mais ce n'est pas à travers son attachement à la cause féministe que j'ai connu Alison Bechdel, mais tout simplement parce qu'elle écrit des bd biographiques, et comme je suis férue du genre, j'en ai lu deux pour le moment.
J'ai beaucoup apprécié sa plus connue, Fun home. Titre ironique, car l'auteure a passé son enfance dans un funérarium, où son père, un être peu aimant et psychorigide, exerçait. Forcément le lieu et le thème, mêlant humour macabre et mélancolie, m'évoquent Six feet under, la géniale série d'Alan Ball (American beauty).
Alison suppose que son père s'est suicidé car il n'assumait pas sa bisexualité. Très fun donc.
Après son père, l'autrice décortique cette fois-ci ses relations avec sa mère, dans le roman graphique C'est toi ma maman ?
Non ce n'est pas pour les enfants de 3 ans. Élu à l'unanimité de moi-même grand vainqueur dans la catégorie "titre le plus niais". J'ai moins apprécié ce livre. L'auteure emploie un jargon psy intello parfois plombant. Elle relate sans tendresse ses rapports avec sa mère, mais aussi avec ses différentes petites amies, son homosexualité, et sa psy. Elle prend bien soin de répéter trois fois que son analyste lui confie qu'elle la trouve "adorable" : "je vous aime beaucoup". Un contre-transfert fréquent mais qui pourrait flinguer la carrière de la psy et que la patiente aurait pu taire, par respect pour cette personne qu'elle admire tellement, et dont elle tombe amoureuse. Comme tous les 4 matins à priori : elle change de partenaires comme de chemises, en ayant plusieurs à la fois, ne sachant pas ce qu'elle veut, ni ce qu'elle ressent.
Une fille très compliquée que j'ai du mal à apprécier pleinement. Ses confidences très poussées me mettent parfois mal à l'aise. Elle se plaint beaucoup de ses parents, mais je trouve sa mère plutôt cool de ne pas s'offusquer de voir le linge sale familial étalé en place publique. Faites des gosses, ils vous le rendront au centuple.
Moralité : mieux vaut adopter un chat, il n'ira pas raconter dans une bd que vous ne lui avez pas donné assez de croquettes. Et il héritera de votre fortune, comme Poupette avec Lagerfeld.
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04/04/2020
Maus, une biographie fascinante
L’auteur, Art Spiegelman, raconte la vie de son père, rescapé des camps de concentration. C'est absolument fascinant. Il en ressort que ceux qui s'en sont sortis parmi l'entourage du père sont souvent les plus débrouillards, mais aussi les plus riches, qui pouvaient monnayer des vivres et passe-droit; ainsi que les moins scrupuleux, qui n'ont pas hésité à dénoncer ou voler les autres pour survivre (les kapos). Le manque de solidarité parmi les persécutés qu'il a croisés est frappant et illustre la phrase "la fin justifie les moyens". J'ai été particulièrement choquée par le cousin qui accepte les diamants des grands-parents en échange de leur liberté, mais les trahit et les envoie quand même, des membres de sa famille en plus, vers une mort certaine.
Le roman graphique est surtout connu pour son témoignage sidérant sur les camps de concentration, mais autant que la vie de juifs traqués pendant la guerre, dont j'ai vu énormément de témoignages dans les innombrables documentaires consacrés au sujet, j'ai aussi retenu de cette biographie la personnalité ambiguë et manipulatrice du père. Ce dernier a épuisé toutes les femmes de sa vie (qui ne sont pas en moi réunies) (ma culture est phénoménale). Sa première petite amie était folle de lui, prête à tout pour lui, mais il s'en fichait royalement. Il l'a jetée du jour au lendemain, après 4 ans de bons et loyaux services, pour la remplacer par une femme qu'il venait de rencontrer, encore plus utile pour lui : issue d'une famille de commerçants très riches, elle a pu lancer sa carrière. Cette deuxième femme, la mère de l'écrivain, a fini par se suicider. Elle avait également écrit ses souvenirs de guerre, mais le père a osé jeter ce témoignage inestimable ! Sa dernière épouse, qu'il considére comme une bonne à tout faire et son souffre-douleur, finit par se barrer avant de finir elle aussi suicidaire, complètement timbrée et essorée par ce vampire.
Avec ses troubles psychiques, le père témoigne des ravages des traumatismes de guerre, de la faim et de la persécution. Toute sa vie, il reste dur, obsessionnel, paranoïaque, atrocement radin (si jamais une autre famine devait survenir). Il domine, contrôle et manipule son entourage (dans l'illusion de contrôler sa propre vie). Il a souffert, les autres doivent souffrir aussi. Comme Marthe Villalonga qui tyrannise Guy Bedos dans Nous irons tous au paradis, le père fait croire qu'il est au seuil de la mort pour que son fils, terriblement inquiet, lui rende visite ! Le père aime rabaisser sa famille, en jetant par exemple le manteau de son rejeton sans le prévenir, pour le remplacer par une blouse d'ado ridicule, alors que le fils est déjà adulte, etc. Le livre fourmille d'exemples de la personnalité perverse du père.
Un livre essentiel sur la guerre et les traumas qu'elle engendre. A lire absolument.
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