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16/05/2020

Les oiseaux, partie 6

oiseaux cage.jpgJe ne pensais pas qu'on allait permettre aux Franciliens de sortir, puisque les hôpitaux sont toujours saturés, mais visiblement, l'économie est plus importante que la santé. Les masques étaient inutiles quand on n'en avait pas, mais aujourd'hui qu'on en trouve vendus dix fois le prix normal, ils sont nécessaires. Dans d'autres pays, on vérifie les protections et on en fournit gratuitement si les gens n'en portent pas, mais chez nous, on verbalise. On peut prendre les transports en commun bondés pour aller travailler, mais on ne peut pas se promener dans les parcs désertés les jours de semaine.
L'étudiante en médecine qui avait fait une soirée le lendemain de l'annonce du confinement "une dernière pour la route ! ça va on va pas s'arrêter de vivre !" en refait déjà une. J'entends défiler dans le hall, sa musique pourrie et ses grosses pattes marteler le sol au-dessus de ma tête. Comme si elle sortait de deux mois de colle, comme si le confinement était une punition de sortie pour enfants turbulents, et pas une mesure de santé. Comme si déconfinement signifiait fin de l'épidémie. Dans le déni, elle brave la mort comme une ado qui teste ses limites, après avoir survécu à l'hôpital en contact avec les malades, elle doit penser qu'elle est désormais invincible. Si même le personnel soignant aux premières loges ne donne pas l'exemple, je comprends mieux pourquoi certains ne respectent pas les précautions...
 
michel blanc perruque.jpgAvant même le déconfinement, j'ai observé un net relâchement, avec autant de monde dans les rues qu'avant. Toujours sans masques : "on sort bientôt, c'est pas quelques jours qui vont changer les choses !" J'ai ainsi pu voir un homme assis sur un banc et une femme qui lui coupait les cheveux. Je ne sais pas ce qu'ils ont pu cocher sur leur attestation : "première nécessité, refaire ma teinture car tout le monde va se rendre compte que je suis un faux blond". 
A quoi ça va me servir d'aller me faire couper les tifs ?
Est-ce que ma vie sera mieux, une fois que j'aurai mon certif ?
 
Moi aussi j'ai fini par sortir de mon cachot plus souvent que ma sortie hebdomadaire, sans prendre non plus le risque de m'évader "quotidiennement dans la limite d'une heure autorisée" et bien sûr, en portant toujours 38 couches de protection sur le visage. La veille du déconfinement, j'ai même délaissé mon sempiternel tour de la cour de prison pour pousser plus loin, à la limite du km autorisé... jusqu'au parc.
 
Enfin, "le parc". Il reste fermé. Avant le confinement je faisais le tour du vaste domaine, aujourd'hui je fais la même chose, mais depuis l'extérieur, sur le trottoir étroit, trop proche des nombreux passants. Pour m'en éloigner le plus possible, je longe les murs du paradis. A travers les grilles, je regarde la jungle qui a poussé sans entretien et surtout, je vois les oiseaux. Bien plus nombreux que d'habitude, en pleine période d'envol des petits, ils se posent sur les bancs, sur les chemins habituellement occupés par les citadins. Les rôles semblent inversés, avec les animaux libérés allant à leur guise et moi accrochée aux grilles de ma cage, tendant le bras à travers les barreaux pour les prendre en photo : "laissez-moi venir avec vous !"
confinement,parisiensOuvrez, ouvrez la cage aux oiseaux
Regardez les s'envoler, c'est beau
les enfants si vous voyez
Des confinés prisonniers
Ouvrez-leur la porte vers la liberté
 
Et là, j'entends, au loin, au-delà du kilomètre autorisé, le piaillement caractéristique des bébés mésanges...
à suivre
 

11/05/2020

Ca puire !

visiteurs parfum.jpgAlors les déconfinés, ça bosse ? ça se contamine ?
Pas moi ! Non merci sans façon, après vous, je vous en prie. Je vous laisse faire les cobayes pour ce retour à l'anormal, vous me raconterez les nouvelles du front.
Ceux qui sont obligés de sortir travailler, je les plains. Mais les files d'attentes interminables devant Sephora comme on peut en voir depuis ce matin... Les pouffes vont se maquiller sous leur masque qui couvre le visage ? A un mètre de distance, personne ne verra leurs points noirs, et on n'a pas envie de choper la migraine en sentant leurs parfums polluer les environs. S'asperger de parfum pour se faire remarquer de loin, c'est comme un chien qui pisse dans tous les coins pour marquer son territoire. ("j'ai dépensé 120 balles dans ce remugle censé montrer ma personnalité, alors qu'il est le dernier relent à la mode et qu'on est des milliers à le porter.") 
 
A propos d'odeur nauséabonde, certains pensaient courir de joie dans la rue à minuit pour fêter le déconfinement, comme si à minuit pile, le virus disparaissait aussi d'un goût de baguette magique. Mais une exhalaison pestilentielle s'est répandue dans la région francilienne au même moment. Le parfum de ma collègue ? Après avoir réussi à envahir tout l'étage et les ascenseurs, elle a atteint tout Paris ? Ca sentait le soufre. Comme au travail avec la collègue harceleuse donc. Comme en enfer. Comme pour nous avertir : "si vous sortez, vous allez crever".
Après le covid, l'incendie à Tchernobyl, les incendies en Australie, l'invasion de criquets en Afrique, les pluies diluviennes de samedi puis dimanche le soufre et les entrailles de l'enfer qui se réveillent, Paco Rabanne et les mayas s'étaient juste trompés de date, l'apocalypse n'était pas pour 1999, ni 2012, mais 2020. Je lance donc ma propre secte : la secte des confinés tous seuls. Je prêcherai la bonne parole depuis mon ordi : rejoignez ma secte... en restant chez vous.
 
Officiellement pour l'odeur pestilentielle, pour ne pas alarmer la population, on évoque les égouts qui refoulent après les violents orages de samedi. Ce phénomène se produit fréquemment avec les canalisations du village reliés à la rivière dans le jardin familial, malgré nos plaintes à la mairie. Je peux donc dire que je connais bien l'odeur des égouts (avec la rivière, mais aussi les propos et le parfum de ma collègue), et ce n'est pas du tout celle que j'ai perçue hier. Le soufre, l'odeur d'oeufs pourris, non plus. Je l'ai senti dans les fumerolles en Islande, ou moins exotique, à la station madeleine à Paris, creusée à proximité d'une nappe phréatique riche en soufre. Ca sentait plutôt le brûlé toxique, comme un insecte grillé sur une lampe halogène. Le directeur de recherche au CNRS au labo de physique chimie de l’environnement estime que ce se serait plutôt : un rejet en douce, ponctuel, comme une centrale d’appoint ou un incinérateur qui se remet en marche et dont les panaches auraient été dispersés par le vent ». On fait cramer en douce tous les morts du covid non déclarés ?
 
confinement,covidJe ne pensais pas qu'on allait permettre aux Franciliens de sortir aujourd'hui, puisque les hôpitaux sont toujours saturés, mais visiblement, l'économie est plus importante que la santé. ça pue vraiment. Préparez vos surfs pour la deuxième vague.

07/05/2020

Les oiseaux, partie 5

goelands drone.jpgLe matin aux saisons nouvelles
Je vais au bord de la ruelle
Regarder les oiseaux
Ils viennent pas quand je les appelle
Caresser l'eau du bout des ailes
Et fientent sur les bobos
 
Depuis le temps qu'on nous le promet, enfin c'est vrai : "la nature reprend ses droits". Des goélands ont niché sur le toit de l'immeuble d'en face. Cet édifice hideux qui me gâche la vue sert enfin à quelque chose (et plus à héberger des cons qui font du bruit). Je ne vois pas les oiseaux vu que j'habite comme les gueux de Métropolis au ras du sol, mais j'entends leurs cris à la fois plaintif et moqueur si caractéristiques. Certains de mes congénères parigots têtes de veaux s'en plaignent pourtant sur BFM tv, une chaîne reflet de leur intelligence :
(J'ai enlevé leur nom de famille, car sans honte, ils ont osé le donner.) Ces cris rauques nous embêtent !" déplore Anne Connasse, une psychanalyste. (qui aurait besoin de se faire soigner, les cordonniers sont les + mal chaussés.) "C'est infernal ! C'est une catastrophe de les entendre brailler, de les entendre pleurer", vitupère Rodolphe Gerbant, un agent de sécurité. "Catastrophe", rien que ça, on ne peut pas trouver pire. La pandémie, la pollution, c'est rien à côté.
Fatigués, abandonnent
Et s'enfoncent dans le ciel
Pour aller chercher de l'air plus haut
 
Entre les cris des goélands et ceux du merdeux qui pleure en permanence :"APPOLINE ELLE M'A VOLE MON PLAYMOBIL ! NON JE VEUX PAS LA SALADE !!" Je choisis les oiseaux. Au moins eux, on ne comprend pas ce qu'ils disent. A mon avis, avec leurs cris qui ressemblent à des rires, ils se moquent de nous les confinés. 
Plus haut que nous ne pourrons aller avant longtemps
C'est si loin
 
allan-barte-la-liberte-c-est-surfait.jpgGrâce aux goélands qui couvrent enfin le bruit des perceuses et de la corde à sauter de la voisine, j'ai l'impression d'être au bord de la mer, et plus cloîtrée dans mon studio parisien. Continuez les copains, et continuez aussi à attaquer les drones de surveillance de 1984. A ce propos, je vous conseille vivement l'excellent documentaire d'Arte "Tous surveillés, 7 milliards de suspects" disponible jusqu'au 19 juin, en lien ici.
Loin de moi que mes yeux déçus
Aveuglés aux voûtes d'azur
N'y croient plus
 

02/05/2020

Les oiseaux, partie 4

oiseaux,confinement
Fly away through the midnight air
As we head across the sea
And at last we will be free
I'm a bluebird, I'm a bluebird
Les deux fenêtres du cabinet médical sont ouvertes pour la première fois. Peut-être pour aérer entre deux patients infectés, mais moi, je connais bien la vraie raison, bien plus importante, vitale : pour écouter les petits oiseaux !
Le docteur continue son discours désabusé : "Les gens n'en peuvent plus du confinement. C'est difficile pour eux de ne pas sortir voir leurs proches... Vous tenez le coup ?
- Je vois peu de personnes d'habitude, c'est surtout me promener dans la nature qui me man.. OH j'entends une mésange charbonnière aussi !!
L'étonnement se lit à nouveau sur le visage du médecin, mais compréhensif, il se met à mon niveau : - Oui on a de la chance avec cette cour intérieure, pas de bruit, les oiseaux sont tranquilles, on les entend bien...
- Han un troglodyte cette fois ! Mais c'est le paradis ici !"
Le docteur interrompt mon cours d'ornithologie : - Bon, vous étiez venue pour des piqûres et vaccins...
 
mesange-charbonniere-.jpgJe lui parle des oiseaux, ces êtres doux et divins, et il me répond piqûre infernale qui fait mal, qui est ce démon ?
- Nan mais je préfère écouter les oiseaux en fait
- Vous pourrez le faire pendant que je vous vaccine. Ca ne fait pas mal du tout, c'est très rapide, regardez :
En un éclair digne d'un magicien, il me pique le bras gauche et je confirme : - J'ai rien senti !
- Je vous l'avais dit ! Regardez les oiseaux par la fenêtre maintenant.
Je me tourne vers la vitre à gauche, et pendant ce temps, le docteur m'empale le bras droit en douce.
Moi, choquée : - MAIS !
Docteur, content comme un gosse qui a collé un poisson d'avril dans le dos de son voisin : - Hé hé ! Je vous ai eu !! 
- Mais il fait mal celui-là !
- Oui ! C'est pour ça que je vous ai dit de regarder les oiseaux !
- On les voit même pas en plus !!"
Bernée comme une gamine de 5 ans.
 
troglodyte mignon.jpgJe reprends une conversation d'adulte : - Je peux faire des effets secondaires ? Que je me dise pas que j'ai chopé le corona quoi...
- Bof, non c'est rien...
- Ah ?
- Bon c'est possible, surtout qu'on a fait plusieurs vaccins... Peut-être de la fatigue, des douleurs au bras, des boules au niveau des injections, de la fièvre...
 
3 fois rien quoi, juste une petite gangrène. Je sors du cabinet en faisant ma guerrière revenue du front : "les piqûres, je les fais toutes d'un coup, tournée générale, cocktail molotov, même pas mal."
4 heures après, je regarde la dernière saison du Bureau des légendes et tout d'un coup je passe d'une conversation dans les locaux de la DGSE à une scène dans le désert avec un nouveau personnage et un mort ressuscité. En fait je me suis endormie comme une grosse larve et j'ai loupé un épisode. Mes bras me font atrocement mal, et je vois que deux nouveaux biceps ont poussé. Soit je suis Hulk somnambule et j'ai fait 3000 pompes sans m'en rendre compte, soit, plus plausible, je fais une réaction aux vaccins comme Coluche en fait aux moustiques dans Banzaï. Pendant 3 jours, je comate dans mon lit en me réveillant en sursaut dès que mes bras touchent le matelas.
"ça ne fait pas mal" "c'est rien du tout" qu'il disait.
 
Le 3ème jour, ce n'est pas la douleur qui me réveille du coma, mais un bruit. L'éternelle guitare du voisin, la corde à sauter de la voisine ? Non. Un son très agréable. Le chant du merle. C'est sûr, il a quitté le médecin pour moi :"Une fan apprécie mon talent à sa juste valeur, je déménage pour suivre mon public éclairé." En 13 ans à Paris, je ne l'entendais qu'exceptionnellement. Depuis, il chante du matin au soir, sa voix puissante résonne et couvre celle du clodo aviné et des perceuses. Je ne l'ai pas encore vu, il est certainement perché sur le toit car les merles aiment se placer en hauteur pour dominer, comme les chats. Merlounet nous gueule à longueur de journée (je vous fais la traduction, je parle couramment le merle) : "restez chez vous, ne faites pas de bruit, écoutez-moi, c'est moi le roi !" et je bois ses paroles religieusement. Depuis le début du confinement je mettais des chants d'oiseaux sur youtube pour oublier Paris. Plus besoin, je laisse la fenêtre ouverte. Il fait 14 degrés et un vent à décorner les cocus, mais je préfère m'enrouler dans mon plaid et risquer la pneumonie pour entendre mon nouvel ami. 
 
Blackbird singing in the dead of night
Take these broken wings and learn to fly
All your life
You were only waiting for this moment to arise