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19/05/2020

Les oiseaux partie 7

confinement,mésangesLa veille du déconfinement, j'ai délaissé mon sempiternel tour de la cour de prison pour pousser plus loin, à la limite du km autorisé... jusqu'au parc.
Enfin, "le parc". Il reste fermé. Je me contente de longer les grilles du paradis, et de regarder au travers la jungle qui a poussé sans entretien et surtout, les oiseaux. Les rôles semblent inversés, avec les animaux libérés allant à leur guise et moi accrochée aux grilles de ma cage, tendant le bras à travers les barreaux pour les prendre en photo : "laissez-moi venir avec vous !"
Ouvrez, ouvrez la cage aux oiseaux
Regardez les s'envoler, c'est beau
les enfants si vous voyez
Des confinés prisonniers
Ouvrez-leur la porte vers la liberté
 
Et là, j'entends, au loin, au-delà du kilomètre autorisé, le piaillement caractéristique des bébés mésanges charbonnières. Elles cuicuitent à qui mieux mieux, d'un chant aussi puissant que leur corps est minuscule, comme s'i elles étaient fières d'annoncer à la face du monde : "regardez ! je sais voler ! je suis le plus fort !"
Je me rapproche des pépiements, ce qui m'éloigne de mon périmètre d'un km. Allez, les flics n'ont pas un compteur gps intégré, et puis voir enfin des oiseaux pour la première fois depuis 2 mois de confinement vaut bien de braver l'interdit ! (car chez le docteur puis chez moi, je les entends sans les voir.) 
 
mesange bébé.jpgDiscrets comme ma lourdaude de voisine qui marche à en faire trembler le sol, je repère vite les évadés du nid qui engueulent leurs parents (comme on peut le voir sur la vidéo) : "nourrissez moi ! j'ai faim ! j'ai pas mangé depuis 3 secondes ! plus vite !
Leur corps est rond, bien plus gros que celui des parents qui s'épuisent à faire des aller-retours pour trouver de la nourriture, sous les cris de leurs rejetons esclavagistes, à tel point que je ne peux m'empêcher de dire tout haut : 
"Mais c'est fini de brailler comme ça, arrête d'engueuler ta pauvre mère !"
 
Je perçois derrière moi des rires étouffés. Des enfants se moquent. Ah oui. J'ai oublié que je ne suis pas seule, et j'ai l'air de parler toute seule (alors que comme Blanche neige, j'entame juste un dialogue avec les petits zoiseaux, qui allaient me répondre, évidemment !)
Voyant là l'occasion d'entrer en contact avec mes congénères (les humains, pas les oiseaux malheureusement) je m'imagine que des enfants auront justement gardé leur âme d'enfant et s'émerveilleront comme moi devant des petits zanimaux :
 - Regardez, il y a des bébés oiseaux !
Mais au lieu d'observer la splendeur que je leur montre du doigt, ils me fixent moi.
Quand le sage désigne la lune, l'idiot regarde le doigt.
Je m'adresse alors à leur grand-mère qui se rapproche, me disant que son âge est synonyme de sagesse, conte pour ses petits-enfants au coin du feu "il était une fois, une petite fille découvrant des bébés mésanges"... Mais non, elle aussi me toise bizarrement sans me répondre. Elle demande aux gosses de poursuivre leur route. Voilà, elle les éloigne comme si j'étais une ogresse échappée de l'asile !
ignorant et méprisant ce genre d'individus incapables d'apprécier la nature qui les entoure, je continue ma conversation avec les mésanges. Je tends le bras à travers la grille pour les prendre en photo, en les invectivant "rah mais bouge pas comme ça ! mais non te mets pas à côté de la poubelle, c'est moche !"
Je suis consciente que les passants défilent derrière mon dos et je surprends des regards interloqués, mais je m'en fiche. (en réalité je ne prononce pas de longues phrases, juste des interjections, mais même en silence, collée à la grille le bras tendu à l'intérieur avec mon téléphone, je dois paraître suspecte). 
 
En revanche, je n'ai pas vu le temps passer. On est la veille du déconfinement, je dois encore posséder une attestation. Or j'ai dépassé de 200 mètres et il ne me reste plus que 6 minutes pour rentrer chez moi. Je marche vite mais là, c'est de la télétransportation qu'il me faudrait.
Je ne m'inquiète pas "tout de même, la veille du déconfinement, les flics vont être indulgents... la première fois que je m'éloigne, que je sors si longtemps... je n'ai pas été contrôlée une seule fois en deux mois alors que j'étais à 500 mètres de chez moi, je ne vais quand même pas l'être aujourd'hui !
Je repars confiante, ragaillardie par les oiseaux et mes photos floues, et là, lorsque je tourne à l'angle de la rue... Les flics.
à suivre....

16/05/2020

Les oiseaux, partie 6

oiseaux cage.jpgJe ne pensais pas qu'on allait permettre aux Franciliens de sortir, puisque les hôpitaux sont toujours saturés, mais visiblement, l'économie est plus importante que la santé. Les masques étaient inutiles quand on n'en avait pas, mais aujourd'hui qu'on en trouve vendus dix fois le prix normal, ils sont nécessaires. Dans d'autres pays, on vérifie les protections et on en fournit gratuitement si les gens n'en portent pas, mais chez nous, on verbalise. On peut prendre les transports en commun bondés pour aller travailler, mais on ne peut pas se promener dans les parcs désertés les jours de semaine.
L'étudiante en médecine qui avait fait une soirée le lendemain de l'annonce du confinement "une dernière pour la route ! ça va on va pas s'arrêter de vivre !" en refait déjà une. J'entends défiler dans le hall, sa musique pourrie et ses grosses pattes marteler le sol au-dessus de ma tête. Comme si elle sortait de deux mois de colle, comme si le confinement était une punition de sortie pour enfants turbulents, et pas une mesure de santé. Comme si déconfinement signifiait fin de l'épidémie. Dans le déni, elle brave la mort comme une ado qui teste ses limites, après avoir survécu à l'hôpital en contact avec les malades, elle doit penser qu'elle est désormais invincible. Si même le personnel soignant aux premières loges ne donne pas l'exemple, je comprends mieux pourquoi certains ne respectent pas les précautions...
 
michel blanc perruque.jpgAvant même le déconfinement, j'ai observé un net relâchement, avec autant de monde dans les rues qu'avant. Toujours sans masques : "on sort bientôt, c'est pas quelques jours qui vont changer les choses !" J'ai ainsi pu voir un homme assis sur un banc et une femme qui lui coupait les cheveux. Je ne sais pas ce qu'ils ont pu cocher sur leur attestation : "première nécessité, refaire ma teinture car tout le monde va se rendre compte que je suis un faux blond". 
A quoi ça va me servir d'aller me faire couper les tifs ?
Est-ce que ma vie sera mieux, une fois que j'aurai mon certif ?
 
Moi aussi j'ai fini par sortir de mon cachot plus souvent que ma sortie hebdomadaire, sans prendre non plus le risque de m'évader "quotidiennement dans la limite d'une heure autorisée" et bien sûr, en portant toujours 38 couches de protection sur le visage. La veille du déconfinement, j'ai même délaissé mon sempiternel tour de la cour de prison pour pousser plus loin, à la limite du km autorisé... jusqu'au parc.
 
Enfin, "le parc". Il reste fermé. Avant le confinement je faisais le tour du vaste domaine, aujourd'hui je fais la même chose, mais depuis l'extérieur, sur le trottoir étroit, trop proche des nombreux passants. Pour m'en éloigner le plus possible, je longe les murs du paradis. A travers les grilles, je regarde la jungle qui a poussé sans entretien et surtout, je vois les oiseaux. Bien plus nombreux que d'habitude, en pleine période d'envol des petits, ils se posent sur les bancs, sur les chemins habituellement occupés par les citadins. Les rôles semblent inversés, avec les animaux libérés allant à leur guise et moi accrochée aux grilles de ma cage, tendant le bras à travers les barreaux pour les prendre en photo : "laissez-moi venir avec vous !"
confinement,parisiensOuvrez, ouvrez la cage aux oiseaux
Regardez les s'envoler, c'est beau
les enfants si vous voyez
Des confinés prisonniers
Ouvrez-leur la porte vers la liberté
 
Et là, j'entends, au loin, au-delà du kilomètre autorisé, le piaillement caractéristique des bébés mésanges...
à suivre
 

07/05/2020

Les oiseaux, partie 5

goelands drone.jpgLe matin aux saisons nouvelles
Je vais au bord de la ruelle
Regarder les oiseaux
Ils viennent pas quand je les appelle
Caresser l'eau du bout des ailes
Et fientent sur les bobos
 
Depuis le temps qu'on nous le promet, enfin c'est vrai : "la nature reprend ses droits". Des goélands ont niché sur le toit de l'immeuble d'en face. Cet édifice hideux qui me gâche la vue sert enfin à quelque chose (et plus à héberger des cons qui font du bruit). Je ne vois pas les oiseaux vu que j'habite comme les gueux de Métropolis au ras du sol, mais j'entends leurs cris à la fois plaintif et moqueur si caractéristiques. Certains de mes congénères parigots têtes de veaux s'en plaignent pourtant sur BFM tv, une chaîne reflet de leur intelligence :
(J'ai enlevé leur nom de famille, car sans honte, ils ont osé le donner.) Ces cris rauques nous embêtent !" déplore Anne Connasse, une psychanalyste. (qui aurait besoin de se faire soigner, les cordonniers sont les + mal chaussés.) "C'est infernal ! C'est une catastrophe de les entendre brailler, de les entendre pleurer", vitupère Rodolphe Gerbant, un agent de sécurité. "Catastrophe", rien que ça, on ne peut pas trouver pire. La pandémie, la pollution, c'est rien à côté.
Fatigués, abandonnent
Et s'enfoncent dans le ciel
Pour aller chercher de l'air plus haut
 
Entre les cris des goélands et ceux du merdeux qui pleure en permanence :"APPOLINE ELLE M'A VOLE MON PLAYMOBIL ! NON JE VEUX PAS LA SALADE !!" Je choisis les oiseaux. Au moins eux, on ne comprend pas ce qu'ils disent. A mon avis, avec leurs cris qui ressemblent à des rires, ils se moquent de nous les confinés. 
Plus haut que nous ne pourrons aller avant longtemps
C'est si loin
 
allan-barte-la-liberte-c-est-surfait.jpgGrâce aux goélands qui couvrent enfin le bruit des perceuses et de la corde à sauter de la voisine, j'ai l'impression d'être au bord de la mer, et plus cloîtrée dans mon studio parisien. Continuez les copains, et continuez aussi à attaquer les drones de surveillance de 1984. A ce propos, je vous conseille vivement l'excellent documentaire d'Arte "Tous surveillés, 7 milliards de suspects" disponible jusqu'au 19 juin, en lien ici.
Loin de moi que mes yeux déçus
Aveuglés aux voûtes d'azur
N'y croient plus
 

02/05/2020

Les oiseaux, partie 4

oiseaux,confinement
Fly away through the midnight air
As we head across the sea
And at last we will be free
I'm a bluebird, I'm a bluebird
Les deux fenêtres du cabinet médical sont ouvertes pour la première fois. Peut-être pour aérer entre deux patients infectés, mais moi, je connais bien la vraie raison, bien plus importante, vitale : pour écouter les petits oiseaux !
Le docteur continue son discours désabusé : "Les gens n'en peuvent plus du confinement. C'est difficile pour eux de ne pas sortir voir leurs proches... Vous tenez le coup ?
- Je vois peu de personnes d'habitude, c'est surtout me promener dans la nature qui me man.. OH j'entends une mésange charbonnière aussi !!
L'étonnement se lit à nouveau sur le visage du médecin, mais compréhensif, il se met à mon niveau : - Oui on a de la chance avec cette cour intérieure, pas de bruit, les oiseaux sont tranquilles, on les entend bien...
- Han un troglodyte cette fois ! Mais c'est le paradis ici !"
Le docteur interrompt mon cours d'ornithologie : - Bon, vous étiez venue pour des piqûres et vaccins...
 
mesange-charbonniere-.jpgJe lui parle des oiseaux, ces êtres doux et divins, et il me répond piqûre infernale qui fait mal, qui est ce démon ?
- Nan mais je préfère écouter les oiseaux en fait
- Vous pourrez le faire pendant que je vous vaccine. Ca ne fait pas mal du tout, c'est très rapide, regardez :
En un éclair digne d'un magicien, il me pique le bras gauche et je confirme : - J'ai rien senti !
- Je vous l'avais dit ! Regardez les oiseaux par la fenêtre maintenant.
Je me tourne vers la vitre à gauche, et pendant ce temps, le docteur m'empale le bras droit en douce.
Moi, choquée : - MAIS !
Docteur, content comme un gosse qui a collé un poisson d'avril dans le dos de son voisin : - Hé hé ! Je vous ai eu !! 
- Mais il fait mal celui-là !
- Oui ! C'est pour ça que je vous ai dit de regarder les oiseaux !
- On les voit même pas en plus !!"
Bernée comme une gamine de 5 ans.
 
troglodyte mignon.jpgJe reprends une conversation d'adulte : - Je peux faire des effets secondaires ? Que je me dise pas que j'ai chopé le corona quoi...
- Bof, non c'est rien...
- Ah ?
- Bon c'est possible, surtout qu'on a fait plusieurs vaccins... Peut-être de la fatigue, des douleurs au bras, des boules au niveau des injections, de la fièvre...
 
3 fois rien quoi, juste une petite gangrène. Je sors du cabinet en faisant ma guerrière revenue du front : "les piqûres, je les fais toutes d'un coup, tournée générale, cocktail molotov, même pas mal."
4 heures après, je regarde la dernière saison du Bureau des légendes et tout d'un coup je passe d'une conversation dans les locaux de la DGSE à une scène dans le désert avec un nouveau personnage et un mort ressuscité. En fait je me suis endormie comme une grosse larve et j'ai loupé un épisode. Mes bras me font atrocement mal, et je vois que deux nouveaux biceps ont poussé. Soit je suis Hulk somnambule et j'ai fait 3000 pompes sans m'en rendre compte, soit, plus plausible, je fais une réaction aux vaccins comme Coluche en fait aux moustiques dans Banzaï. Pendant 3 jours, je comate dans mon lit en me réveillant en sursaut dès que mes bras touchent le matelas.
"ça ne fait pas mal" "c'est rien du tout" qu'il disait.
 
Le 3ème jour, ce n'est pas la douleur qui me réveille du coma, mais un bruit. L'éternelle guitare du voisin, la corde à sauter de la voisine ? Non. Un son très agréable. Le chant du merle. C'est sûr, il a quitté le médecin pour moi :"Une fan apprécie mon talent à sa juste valeur, je déménage pour suivre mon public éclairé." En 13 ans à Paris, je ne l'entendais qu'exceptionnellement. Depuis, il chante du matin au soir, sa voix puissante résonne et couvre celle du clodo aviné et des perceuses. Je ne l'ai pas encore vu, il est certainement perché sur le toit car les merles aiment se placer en hauteur pour dominer, comme les chats. Merlounet nous gueule à longueur de journée (je vous fais la traduction, je parle couramment le merle) : "restez chez vous, ne faites pas de bruit, écoutez-moi, c'est moi le roi !" et je bois ses paroles religieusement. Depuis le début du confinement je mettais des chants d'oiseaux sur youtube pour oublier Paris. Plus besoin, je laisse la fenêtre ouverte. Il fait 14 degrés et un vent à décorner les cocus, mais je préfère m'enrouler dans mon plaid et risquer la pneumonie pour entendre mon nouvel ami. 
 
Blackbird singing in the dead of night
Take these broken wings and learn to fly
All your life
You were only waiting for this moment to arise