03/12/2013
Zulu, noir c'est noir
En Afrique du Sud, des policiers enquêtent sur le meurtre d’une jeune femme. Ce qui pourrait être un crime isolé ordinaire révèle une affaire bien plus complexe et sordide...
Noir, c’est noir, il n’y a plus d’espoir. Zulu commence avec des plans classiques pour les films policiers : le flic (Orlando Bloom) dort, le réveil sonne, le type semble dépité, et son premier réflexe est de boire au goulot une bouteille de whisky (mouui… moi au réveil je bois ma chicoré, l’ami du petit déjeuner, on ne joue pas dans la même catégorie). Parfois dans ce genre de film, on a le droit à la somptueuse femme nue à côté du gars, qui se fait virer comme une malpropre ("dégage, j’ai du boulot") (il me reste encore mon génépi à finir). Zulu choisit cette option, avec en prime les tatouages du héros : traduction, c’est un homme complexe et torturé, un flic aux allures de bad boy, qui cache des démons intérieurs. Pourquoi pas. Puis choisir Orlando Bloom, l’elfe lisse et coincé du Seigneur des anneaux, le gentil héros amoureux de Pirates des Caraïbes, c’est une idée originale, comme nous l’explique le réalisateur : « Orlando n’a jamais joué dans ce genre de films (…) il dégage une énergie très positive, et pouvait justement éviter le cliché » (hum).
Orlando/Brian le flic rebelle, a pour partenaire Forest Whitaker (Le majordome), qui joue le policier placide, calme et rassurant, et Conrad Kemp, le timide très amoureux de sa femme. Les amis, différents et complémentaires, se réunissent autour du repas dominical. On se croirait presque dans Vincent François Paul et les autres. Que nenni. Les flics partent mener une enquête de routine, et là, bam, sans prévenir, tout part en sucette, les flingues sont de sortie, le sang gicle, les mains et les oreilles volent (ou presque). Mémé se retrouve bouche bée et clouée à son fauteuil. M’enfin ?! Mais que se passe- t-il ?
A partir de là l’histoire prend une toute autre tournure, l’enquête sur le meurtre de la jeune fille est rapidement élucidée et oubliée, une fille tabassée à mort, c’était de la gnognotte, on passe aux choses sérieuses, avec des méchants détestables partout, des gentils qui meurent, du complot, des rebondissements, et du sang, beaucoup trop de sang…Je préfère donc vous prévenir, le film est violent, mais ce n’est pas pour vous faire fuir : au contraire, prévenus, vous pourrez mieux vous plonger dans l’histoire. Zulu est un thriller sociopolitique. Il évoque la réalité de l’Afrique du Sud, son passé l’apartheid, ses conséquences aujourd’hui.
Le réalisateur Jérôme Salle a choisi cette histoire, adaptée d’un roman, car elle se déroule en Afrique du sud, un pays qu’on voit rarement au cinéma, et elle évoque le sujet du pardon. Pardon ? Pour se venger un personnage abat tous les méchants qu’il trouve, comme dans un jeu vidéo shoot them up, puis s’acharne en poursuivant à cloche pied le dernier des salauds... (il pardonne quoi, Zulu, le film bisounours de l'année)
Le pardon se fait surtout à travers des références aux « commissions vérité et réconciliation » mises en place à la fin de l’apartheid, afin d’éviter l’engrenage de la vengeance et de permettre aux bourreaux de demander pardon à leurs victimes et d’être ensuite amnistiés. Pourtant ce sujet n’est guère détaillé comme s’en justifie le réalisateur : « car il est très connu pour un Sud africain, c’est comme si on nous expliquait le 14 juillet ». Dans le film, le père d'Orlando/Brian était un bourreau, et celui de Forest, une victime. Pour le metteur en scène les personnages sont à l’image de leur pays, vivant avec le poids du passé. Noir ou Blanc, ils portent la responsabilité des actes de leurs parents. Forest Whitaker l’analyse ainsi : « On n’efface pas en une décennie des années de haine et de combat. Comment dépasser le sentiment de violence ? Comment considérer comme partenaire aujourd’hui celui qui était oppresseur hier ?»
Zulu a été tourné dans les Cape flat, quartiers « colored » là où aucune équipe de tournage n’a jamais mis les pieds : là où sévissent les gangs. Pour réussir cet exploit, le co-scénariste Julien Rappeneau (fils de Jean-Paul) plaisante « on a dû dealer avec les gangs pour pouvoir tourner : leur acheter toute leur coke, si vous en voulez… » Orlando Bloom s’est même fait voler son ordinateur, et pour le récupérer, le gang qui assurait la sécurité du tournage menaçait de violer l’auteur du larcin… Aaaah, c’est frais, c’est gai…
Je ne comprends pas trop pourquoi le réalisateur est « tombé amoureux de Cape town où se déroule l’histoire. Après y avoir vécu presque une année entière, je me sens chez moi là-bas ». Mémé Papillote a la phobie de l’avion et fait une jaunisse à l’idée de quitter sa tanière, alors les gangs des bidonvilles... Enfin, lorsqu’on sort des township, la beauté et la diversité des paysages est à couper le souffle : désert, mer, falaises…
En tournant dans de réels bidonvilles, à ses risques et périls, on sent que le réalisateur a mis toutes ses tripes dans le film. Mais il n’était pas obligé d’en étaler autant à l’écran… Malgré l’intérêt certain de Zulu, toute cette violence gratuite m’a fait progressivement décrocher de l’histoire, et j’ai passé autant de temps à me cacher les yeux qu’à suivre l’écran. Le film est interdit au moins de 12 ans, je ne le savais pas, et je ne m’étais sans doute pas préparée.
Le co-scénariste nous assure cependant que le roman dont est adapté le film est « plus violent » et que le scénario est « édulcoré, car ça en devenait ridicule : dans le livre, on arrache les deux mains et on les met à cuire au barbecue » (on a eu le droit qu’à une seule main coupée et gentiment laissée tranquille ensuite, quelle chance). Jérôme Salle nous affirme « je ne voulais pas être complaisant avec la violence, je n’aime pas qu’on m’en impose en général » Ah ?! Je n’ose pas imaginer ce que ça aurait été dans le cas contraire… Mémé doit être une grosse chochotte, pourtant j’aime beaucoup les films à sensation, mais lorsqu’ils sont tellement outranciers qu’on peut les prendre à la rigolade, et sans rapport avec la réalité (on voit rarement des zombies et des loups garous dans les rues de Paris). Ici, le film est sérieux et on sait que ces faits atroces existent, ce n’était pas la peine de le souligner autant… Le cinéaste voulait « tourner un film âpre (…) rude, au montage serré, pour coller à la violence de l’histoire. » En effet.On a la chance de pouvoir poser des questions à l’équipe. La première personne se lance : « Est ce que le film a été difficile à tourner ? » (au milieu des gangs, penses-tu, après le tournage on faisait du tricot). Mais la question primordiale, pour mon amie et moi, est plutôt : « Est-ce que les scènes de nu avec Orlando Bloom étaient difficiles à tourner ? » C’est son vrai cul qu’on voit à l’écran ? Je ne doute pas que l’acteur ait donné de sa personne : pour se mettre dans son personnage il a fait des abdos fessiers pendant trois mois il est arrivé un mois avant le tournage pour parler avec l’accent du pays.
D’ailleurs, le film étant français, et se déroulant en Afrique du sud, pourquoi choisir des acteurs anglais et américains ? « car on avait besoin de deux acteurs connus » et bankable. Mais tout le reste de l’équipe et du casting est composé de Sud-africains. Orlando Bloom estime que « Parce que Jérôme est français, parce qu’il n’a pas grandi en vivant tous les aspects sociopolitiques de ce pays, il a pu garder un œil objectif sur les aboutissants de son histoire. »
Si l’acteur s’est aussi tant investi dans son rôle, c’est sans doute aussi parce que son père, qui n’était en fait pas son père biologique (il l’a découvert à 13 ans), était un journaliste et écrivain sud-africain connu, militant anti-apartheid. Il a dû fuir le pays et c’est ainsi qu’il a rencontré la mère d’Orlando en Angleterre.
Le film est adapté du roman éponyme de Caryl Férey. L’écrivain avait « une totale confiance (…) la vision que donne Jérôme correspond à la mienne ». Je n’ai pas lu le livre, mais certains personnages féminins du roman sont délaissés dans le film.
Jérôme Salle est le réalisateur des deux Largo Winch, que je n’ai pas vus, et du thriller Anthony Zimmer, avec Yvan Attal et Sophie Marceau. Le cinéaste révèle « si c’est mon quatrième film, c’est peut-être le premier dont je sois vraiment fier. En tout cas, c’est celui qui ressemble le plus à ce que je souhaite faire en matière de cinéma. »
Vous pourrez le constater par vous-même en allant voir Zulu. Je ne vous mets pas la bande annonce qui dévoile trop le film, mais une featurette sur les personnages.
17:00 Publié dans On connaît le film | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : cinéma, zulu, orlando bloom | |
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25/11/2013
La rubrique nécrologique de la semaine : Georges Lautner
Vendredi, je décide de ne pas allumer l’ordi. Comme un jour de repos loin de l’écran. Je rate donc l’annonce sur Twitter, qui sait toujours tout en premier. Ce qui me permet en général de téléphoner à mon frère pour lui faire deviner le dernier décès de célébrité, comme je l’ai déjà raconté ici pour Claude Miller. Une sorte de jeu qui pourrait paraître d’humour noir, mais qui est en fait un hommage pudique. Au lieu de s’exclamer de but en blanc avec tristesse : « Georges Lautner est mort » on annonce d’abord « T’as vu qui est mort ? » L’autre se prépare à recevoir une mauvaise nouvelle. Puis on amène l’information avec douceur, en citant les œuvres les plus connues et appréciées de la personne décédée.
Mais cette fois-ci, j’apprends le décès brusquement. Samedi, tout en mangeant mon riz cantonnais, je regarde d’un œil distrait le journal de Victor Robert sur Canal+, à midi 45. Et là, en toute fin, il annonce, comme si ce n’était rien « Il était l’un des grands réalisateurs…
Ma fourchette pleine de riz suspend sa trajectoire (et vous heures propices, suspendez votre cours) : - Oh non ! Qui ?
Et là je vois des images des Tontons flingueurs. Je n’entends même plus le commentaire du journaliste, mon couvert retombe dans l’assiette, déversant des petits pois partout.
Faut reconnaître, c’est du brutal.
Devant partir soudainement, je n’ai ni le temps d’écrire ma rubrique nécrologique, ni de téléphoner à mon frère. J’envoie simplement un texto avec la phrase rituelle « T’as vu qui est mort ? » et je reçois en réponse un laconique « oui. » Inutile d’en dire plus. Aucune citation d’Audiard ne peut décrire notre sentiment. « On naît, on vit, on trépasse… C’est comme ça pour tout le monde. » Mort d’un pourri ? Non. Comme Lautner ne peut « faire son panégyrique lui-même », je le fais à sa place. C’est parfois assez édifiant et souvent assez drôle, car il m'arrive de m'attribuer des mots qui sont en général d'Alphonse Allais et des aventures puisées dans La Vie des Hommes illustres.
Georges Lautner est décédé vendredi 22 novembre, à l’âge de 87 ans, des suites « d’une longue maladie » (en général, on nomme ainsi le cancer, comme s’il était honteux). Il était le fils d’une comédienne (qui apparaîtra dans plusieurs de ses films) et d’un aviateur. Son père meurt dans un accident lors d’un meeting aérien, en 1938, alors que Georges n’a que 12 ans : « Là, j'ai commencé à comprendre que la vie, ce n'était pas ce qu'on lisait dans les bouquins d'enfant. C'était vraiment le premier choc dégueulasse, la première épreuve qui m'a toujours marquée…»
Pourtant, comme beaucoup, Lautner se remet de ses blessures grâce à l’humour et l’art : le cinéma, en particulier les comédies policières populaires. Trop timide pour être acteur, il réalise son premier film en 1958, La môme aux boutons. Son plus grand succès, Les tontons flingueurs, sort en salles cinq ans plus tard.
Devenu culte au fil des années, il est vivement critiqué par la presse spécialisée lors de sa sortie : « Je n'ai jamais compris pourquoi ce film avait marché. La critique était contre nous. C'est sorti, à l'époque, dans quatre salles à Paris. Ça n'a pas été un triomphe ».
En effet, Les tontons flingueurs est réalisé en pleine période de la nouvelle vague. La comédie populaire franchouillarde, les gangsters miteux ne sont pas au goût de la presse intellectuelle élitiste. Lautner le réalisateur et son fidèle acolyte Audiard le dialoguiste souffrent beaucoup du manque de reconnaissance de leurs pairs. Mais « la bave du crapaud n’empêche pas la caravane de passer ». Et « l'idéal quand on veut être admiré, c'est d'être mort. »
D'accord, d'accord, je dis pas qu'à la fin de sa vie Jo Le Trembleur il avait pas un peu baissé. Mais n'empêche que pendant les années terribles, sous l'occup', il butait à tout va. Les tontons
Flingueurs quoi ! Aujourd’hui, 50 ans après la sortie de ce film culte, seuls Venantino Venantini (83 ans) et Claude Rich (84 ans) sont encore vivants… (le chat noir va encore porter la poisse…)Malgré le rejet des critiques de cinéma, le public plébiscite les films de Lautner, mettant en scène les acteurs les plus illustres : Lino Ventura, Bernard Blier, Francis Blanche (Les tontons flingueurs) Gabin (Le pacha), Delon (Mort d’un pourri), Belmondo (Flic ou voyou), Jean Yanne (Laisse aller, c’est une valse), et comme actrice, le plus souvent Mireille Darc.
Les films de Lautner restent célèbres pour les personnages, aussi pittoresques du premier au dernier rôle, mais surtout grâce aux dialogues de Michel Audiard, dont chacun en connaît au moins une paire… Certaines bandes originales deviennent aussi célèbres, comme Chi mai d’Ennio Morricone dans Le professionnel. (Je l'avais sur une cassette et je prononçais le titre comme il s'écrit en français.) Je me souviens toujours de cette dernière scène, où Belmondo se dirige vers l’hélicoptère… Malheureusement je me rappelle aussi du chien qui court dans la pub qui reprend la chanson... Lautner fait appel aux plus grands compositeurs de musique de films, comme Philippe Sarde (Les choses de la vie, Le locataire) pour La valise par exemple. Même si les films du cinéaste ne font pas dans la dentelle, ils ont jalonné mon enfance, lorsque je regardais les films populaires de Ciné dimanche et son générique plein de promesses de cinéma… Parmi mes préférés, je citerai le moins connu Il était une fois un flic, avec Mireille Darc et Michel Constantin, mais l'acteur le plus drôle est le gamin ! Les dialogues sont cette fois-ci de Francis Veber. J'aime beaucoup aussi La valise, avec mon chouchou la plus belle voix du monde Jean-Pierre Marielle. Sur la fin de sa carrière, Lautner a délaissé les comédies, avec par exemple en 1988 La maison assassinée avec Patriiick Bruel, qui avait beaucoup marqué l’enfant que j’étais. Son dernier film date de 1992, L’inconnu dans la maison, une adaptation de Simenon, avec Bébel dans le rôle titre.
La télévision rend hommage à George Lautner, en diffusant ce soir, Ne nous fâchons pas, puis Le guignolo sur HD1, et Laisse aller c’est une valse sur Paris première.
Georges Lautner sera enterré dans sa ville natale, Nice.
Oh, dans le fond, y'a pas de quoi pleurer ! Il revient tout simplement à Saint-Denis, Albert. Il revient après un grand tour inutile, c'est tout. Il va enfin pouvoir se reposer de toutes ses singeries, de toutes ses fatigues, chez lui, là, tout près de la Seine. Autrefois, avant que le béton vienne manger l'herbe, c'est là qu'on regardait passer les bateaux, tous les deux. On jouait à faire semblant de croire qu'elles allaient à Shanghai, les péniches, ou qu'elles passaient sous le pont de San Francisco. Et lui, Albert, il a dû continuer longtemps à faire semblant d’y croire. À croire des trucs, des machins. C'est peut-être bien à cause de ça qu'il est mort…
Et vous, quel est votre film de Lautner préféré, votre citation d’Audiard favorite ?
Quiz On connaît le film, avec des citations d'Audiard à retrouver dans le texte...
Une filmographie sélective de George Lautner, réalisateur de 42 films : 1961 : Le Septième Juré
1963 : Les Tontons flingueurs
1964 : Les Barbouzes
1966 : Ne nous fâchons pas
1968 : Le pacha
1970 : Laisse aller... c'est une valse
1971 : Il était une fois un flic
1972 : Quelques messieurs trop tranquilles
1973 : La valise
1974 : Les Seins de glace
1977 : Mort d’un pourri
1979 : Flic ou Voyou
1980 : Le Guignolo
1981 : Le Professionnel
1984 : Joyeuses Pâques
1985 : La Cage aux folles 3
1986 : La vie dissolue de Gérard Floque
1988 : La Maison assassinée
1992 : L'inconnu dans la maison
18:40 Publié dans La rubrique nécrologique, On connaît la chanson, On connaît le film | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : mort georges lautner, cinéma, télé, michel audiard, les tontons flingueurs, il était une fois un flic | |
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19/11/2013
Les garçons et Guillaume, à table !
Tout est dans le titre. Guillaume Gallienne raconte sa jeunesse, où il se sentait, plutôt on le percevait, différent. Sa mère l’estime plus fragile que ses frères. Pendant que ces derniers partent en voyage sportif et viril, Guillaume est envoyé en Espagne pour apprendre la danse parmi les femmes... Adolescent, sa tante fantasque l’encourage même à sortir avec des hommes pour « tester ». Mais en fait, le veut-il, qui est-il vraiment ?
Comme l’explique le réalisateur, ce film délirant est en fait « un véritable coming out inversé ». Il raconte sa quête d’identité, et comment elle lui a permis de devenir acteur. « Quand j’étais enfant, ma mère disait : « Les garçons et Guillaume ». Ce « et » m’a fait croire que pour rester unique aux yeux de cette maman sans tendresse mais extraordinaire, pour me distinguer de cette masse anonyme qu’étaient les garçons, il ne fallait surtout pas que j’en sois un. J’ai tout fait pour être une fille, donc, et quel meilleur modèle que ma mère ? C’est ainsi que j’ai commencé à jouer, dès que je me suis mis à l’imiter. Comment je suis devenu un acteur en devenant ma mère pour réussir à devenir moi. » Le jeune homme imite parfaitement sa mère, et dans le film, il interprète les deux rôles !
Cette comédie est pour moi la meilleure de l’année. (voir bande annonce en lien). Un véritable Ovni, objet visuel non identifié, grâce à la personnalité hors norme de Guillaume Gallienne. Le film oscille en permanence entre fou rire, absurdité, poésie et drame. Un univers décalé (quand il s’imagine tomber dans la piscine au son de Don’t leave me now de Supertramp, qui me trotte dans la tête depuis), hilarant (quand il refait une scène de Sissi l’impératrice) tragi-comique (quand sa grand-mère confond des mots) et même angoissant (le pensionnat de garçons).
Avec un sujet aussi délicat (la quête d’identité sexuelle), on pourrait basculer dans le vulgaire, mais le film évite avec brio cet écueil. Malgré le sujet très personnel, Gallienne parvient à rester pudique. Le mélange des genres (au sens propre comme au figuré) est un exercice difficile, mais on passe avec facilité du rire aux larmes, de l’émotion à la réflexion, dans un parfait dosage.
L’acteur devenu adulte a atteint le recul nécessaire pour faire rire de ses tracas, percevoir avec lucidité son histoire, ou au contraire la réinventer. Gallienne parvient à nous émouvoir, avec grâce. Même si évidemment on n’a pas vécu la même expérience improbable, Gallienne nous permet de nous identifier à ses doutes existentiels : on a tous eu un jour, à moins d’être sociopathe, l’impression d’être parfois différent, décalé, incompris, mais aussi timide, maladroit et naïf. De rester passif et d’angoisser, mais de s’en sortir grâce à l’humour. Le film est en somme une formidable histoire de résilience.
Pour un premier film, la mise en scène est maîtrisée. Pas de baisse de rythme, les réparties fusent. Gallienne joue un grand dadais qui se pose des questions existentielles, à la Woody Allen, avec un humour qui rappelle Certains l’aiment chaud… On trouve même des références à l’univers d’Almodovar, avec des personnages féminins hauts en couleur.
Le film est aussi une belle rencontre : à l’issue de la séance, Guillaume Gallienne vient nous parler. Tandis que les autres interlocuteurs restent en moyenne une demi-heure, l’acteur bavarde trois fois plus longtemps, et si on ne l'avait pas arrêté, je suis sûre qu’il nous aurait raconté ses anecdotes passionnantes pendant encore des heures…
En arrivant, certainement pour marquer la différence avec son « personnage » et montrer que le film est aussi une fiction, Gallienne parle d’une voix grave et mesurée, avec des gestes retenus. Il nous informe tout de suite, d’un air sérieux et blasé : « Je passe mes journées en promo à parler de ma mère, j’en ai un peu marre de la psychanalyse à la Mireille Dumas… » mais immédiatement, l’acteur se met à imiter la présentatrice « parlez-moi de votre mère », les rires jaillissent et Gallienne joue son éternel rôle de comique. Très volubile, il répond de bonne grâce aux questions, et finit par se rendre compte « en fait, je fais ma Mireille Dumas ! » On voit bien que même s’il tente de s’en défendre au début, il adore parler de lui et de sa mère.
Au fil de l’entretien, il reprend d’ailleurs les mêmes mimiques, la voix plus aiguë et les gestes plus doux de sa génitrice… troublant. Mais rassurez-vous, Guillaume Gallienne ne sort pas son couteau comme Norman Bates se prenant pour sa mère dans Psychose… Non, l’arme de Gallienne, c’est le rire.Je ne suis pas la seule à être surprise par ce mimétisme : sa propre famille le confondait avec sa mère. Dans le film, Gallienne interprète les deux personnes. Comme des heures de maquillage étaient nécessaires, il jouait son personnage féminin le matin (avec 4 heures de préparation) et l’après midi le personnage masculin (3h de maquillage) et il restait dans ses rôles : « le matin, l’équipe avait l’impression d’être dirigée par une femme autoritaire de 45 ans, et le soir par un ado de 15 ans abruti et niais ».
Je ne peux m’empêcher de me dire que, sans doute déçue d’avoir déjà deux garçons, sa mère espérait une fille, et qu’elle traite Guillaume (comme) Tell. Est-elle vraiment comme ça ? Tout est vrai ? Comment a-t-elle réagi ? L’acteur répond, d’un air détaché :
« oh très simplement, elle a eu envie de se défenestrer… » La dame a de l’humour et a accueilli le film comme l’hommage qu’il est à sa personne. Le réalisateur précise : « Ce film ne dit évidemment pas « La » vérité mais la mienne. C’est mon histoire. L’histoire subjective d’un acteur. A la recherche des émotions qui l’ont façonné. Peut-on être plus sincère qu’un acteur qui raconte intimement comment il l’est devenu ? »
Comme Guillaume Gallienne, j’étais entourée de frères, mais j’ai vite vu que pour être mieux considérée dans la société, il fallait leur ressembler (mais ça ne me disait rien, c’est tellement mieux d’être une fille). Pour me convoquer aux repas, ma mère ne criait pas mon prénom, mais m’appelait par celui de mes frères, belles sœurs, neveux, et même des chats… Elle citait quatre ou cinq noms avant de trouver le bon (enfin quand elle se rendait compte de son erreur, j’ai pris l’habitude du nom composé à rallonge, et quand on donne mon prénom du premier coup, je suis toujours étonnée « moi ? T’es sûre ? Mais tu veux pas parler au chat plutôt ? »)
Je connaissais Guillaume Gallienne grâce à ses hilarants « bonus de Guillaume » où il imagine des scènes coupées et les castings de films célèbres. Il est aussi pour moi le personnage le plus intéressant du film Astérix au service de sa majesté.
Vous l'aurez compris, courez voir Guillaume Gallienne au cinéma...
20:45 Publié dans On connaît le film | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : cinéma, guillaume gallienne, les garçons et guilaume à table, supertramp | |
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17/11/2013
La rubrique nécrologique et les films de la semaine : JFK, Un air de famille, Incendies...
Dans la rubrique nécrologique de la semaine, le cinquantenaire de l’assassinat de JFK.
Au lycée, mon prof d’histoire avait abordé le sujet en deux phrases, comme le faisait notre manuel : un fait, une date, un meurtrier : Lee Harvey Oswald. Nous étions pourtant des élèves passifs (le prof avait le don de nous endormir) mais quelques voix s’élevèrent : « M'enfin ! Et la balle magique alors ? » (On reconnaît mon « m’enfin » indigné emprunté à Lagaffe) et la réponse du prof, apathique « il existe différentes théories, mais je ne suis là que pour m’en tenir aux faits… »
Ce prof, comme la grande majorité que j’ai connu malheureusement, n’était pas un bon pédagogue. Il se bornait à lire ses notes d’une voix morne, sans échange avec ses élèves. Je m’ennuyais, et comme je détestais apprendre par cœur sans approfondir ni analyser (des dates, des faits, rien que des faits), mes résultats s’en ressentaient. Les autres années, j’ai eu la chance de suivre les cours d’un prof passionnant, qui nous racontait l’Histoire avec un grand H, comme une histoire, et lançait des débats en faisant des parallèles avec l’actualité. Mes notes grimpaient en flèche, toujours bonne première. Ce prof m’a fait aimer l’Histoire. Jusque là, je ne l’appréciais qu’à travers les films et documentaires.
D’ailleurs, c’est en 1991 grâce au film d’Oliver Stone, JFK, avec Kevinou Costner, que je me suis passionnée pour l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Jackie ramassant la cervelle de son mari est une vidéo qui m'a fortement marquée comme beaucoup d'entre nous... La polémique suscitée par le film permis de créer une loi sur « la divulgation des assassinats » en mettant certaines archives à disposition. On m’avait certifié que les dossiers étaient rendus publics 50 ans après un crime (après vérification, ce n’est pas entièrement exact), et j’attendais donc avec impatience ce 22 novembre 2013 en me disant « qu’est ce que je serai vieille, mais je saurai enfin qui à tué JFK ». Je pensais la même chose pour Marilyn Monroe… J’attends toujours.
Cette semaine, une foison de documentaires aborde le sujet. Je pense me concentrer sur celui de Patrick Jeudy, diffusé jeudi mardi sur Arte : Dallas, une journée particulière. En général j’apprécie le travail de ce réalisateur : Il n’y a pas de Kennedy heureux, édifiant, Marilyn dernières séances et Marilyn malgré elle, Eliot Ness contre Al Capone… Un autre documentaire de Patrick Jeudy est diffusé ce soir sur France 5, mais se concentre cette fois-ci sur Jackie Kennedy.
A la télé ce soir, après l’excellent Spartacus de Stanley Kubrick la semaine dernière, Arte diffuse encore un film de rebelles au temps des Romains : Barabbas, responsable d’une insurrection, qui devait être crucifié au côté de Jésus. Ponce Pilate a demandé à la foule de choisir entre les deux hommes lequel serait gracié, et la foule a choisi le premier... Réalisé deux ans après le succès de Spartacus, Barabbas est tout aussi spectaculaire, mais ma préférence va au racé Kirk Douglas plutôt qu’au physique rustre d’Anthony Quinn (et son absence de cou).A la même heure sur HD1, Un air de famille de Cédric Klapisch, avec le couple Jaoui-Bacri au scénario. Personnages cocasses et dialogues irrésistibles comme d’habitude : le barman cool (Jean-Pierre Darroussin), la petite sœur sarcastique et anticonformiste (beaucoup me disent encore que "j'ai un air de famille" avec Agnès Jaoui) Le frère un peu beauf, à l’air vache mais tendre au fond (Bacri évidemment) :
« Ça va Denis, pas trop dur ? Tu fais quoi là, tu te nettoies le genou ? Bon ben il est propre maintenant, tu vas pouvoir attaquer le reste ! »
Le frère ambitieux, autoritaire, arrogant et tête à claques, la belle sœur un peu idiote et délaissée (Catherine Frot) :
« Tiens chérie, c’est pour toi.
-Oh une laisse, c’est le chien qui va être content !
- Mais non, c’est un collier !
- Mais c’est beaucoup trop luxueux pour un chien ! »Lundi, en deuxième partie de soirée sur HD1, le troublant Dead Zone de David Cronenberg, adapté de Stephen King. Suite à un coma, John Smith (le toujours inquiétant Christopher Walken) a le don de voir le passé ou l’avenir d’une personne en la touchant. Il devient célèbre en aidant la police à résoudre des crimes. Mais en frôlant un candidat à l’investiture (Martin Sheen), le devin voit que cet homme devenu président déclenchera une troisième guerre mondiale… Comment réagir face à un évènement qui n’a pas encore eu lieu ?
A la même heure sur France Ô, Tigre et dragon de Ang Lee (Raison et sentiments, Le secret de Brockeback Mountain) J’aime beaucoup ce film, même si les puristes estiment qu’il propose des arts martiaux à la sauce occidentale. (Le réalisateur Taiwanais travaille à Hollywood). Je suis scotchée par l’inventivité et la poésie des combats : au sommet des arbres, il fallait y penser. (J’ai essayé de reproduire certains mouvements, mon dos s’en souvient encore. Mais je suis sûre qu’avec un peu d’entraînement…)Mercredi, Arte propose Incendies de Denis Villeneuve. Comme Prisoners, le dernier film du réalisateur sorti récemment et dont j’ai parlé ici, on retrouve la même tension extrême et permanente, le conflit entre le bien et le mal, et on ressort traumatisé… Je n’avais pas prévu de regarder ce film, le sujet ne m’intéressait pas. Mais j’étais tombée par hasard sur le début, qui m’avait immédiatement emballée : Des jumeaux chez un notaire, à la suite du décès de leur mère. On leur remet deux enveloppes : une qui doit être portée à leur père, qu’ils croyaient morts, et une à leur frère, dont ils n’ont jamais entendu parler. Les jumeaux partent alors à leur recherche…
Jeudi sur NT1, La neuvième porte, avec Johnny Depp. Un film mineur de Roman Polanski, mais assez plaisant pour les amateurs de fantastique et d’ambiance horrifique. Un collectionneur de livres rares découvre un manuel satanique, et les décès étranges se succèdent autour de lui…
Et vous, appréciez-vous ces films ?
20:41 Publié dans A la télé cette semaine, La rubrique nécrologique | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : télé, cinéma, jfk, un air de famille, jaoui bacri | |
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