25/11/2013
La rubrique nécrologique de la semaine : Georges Lautner
Vendredi, je décide de ne pas allumer l’ordi. Comme un jour de repos loin de l’écran. Je rate donc l’annonce sur Twitter, qui sait toujours tout en premier. Ce qui me permet en général de téléphoner à mon frère pour lui faire deviner le dernier décès de célébrité, comme je l’ai déjà raconté ici pour Claude Miller. Une sorte de jeu qui pourrait paraître d’humour noir, mais qui est en fait un hommage pudique. Au lieu de s’exclamer de but en blanc avec tristesse : « Georges Lautner est mort » on annonce d’abord « T’as vu qui est mort ? » L’autre se prépare à recevoir une mauvaise nouvelle. Puis on amène l’information avec douceur, en citant les œuvres les plus connues et appréciées de la personne décédée.
Mais cette fois-ci, j’apprends le décès brusquement. Samedi, tout en mangeant mon riz cantonnais, je regarde d’un œil distrait le journal de Victor Robert sur Canal+, à midi 45. Et là, en toute fin, il annonce, comme si ce n’était rien « Il était l’un des grands réalisateurs…
Ma fourchette pleine de riz suspend sa trajectoire (et vous heures propices, suspendez votre cours) : - Oh non ! Qui ?
Et là je vois des images des Tontons flingueurs. Je n’entends même plus le commentaire du journaliste, mon couvert retombe dans l’assiette, déversant des petits pois partout.
Faut reconnaître, c’est du brutal.
Devant partir soudainement, je n’ai ni le temps d’écrire ma rubrique nécrologique, ni de téléphoner à mon frère. J’envoie simplement un texto avec la phrase rituelle « T’as vu qui est mort ? » et je reçois en réponse un laconique « oui. » Inutile d’en dire plus. Aucune citation d’Audiard ne peut décrire notre sentiment. « On naît, on vit, on trépasse… C’est comme ça pour tout le monde. »
Mort d’un pourri ? Non. Comme Lautner ne peut « faire son panégyrique lui-même », je le fais à sa place. C’est parfois assez édifiant et souvent assez drôle, car il m'arrive de m'attribuer des mots qui sont en général d'Alphonse Allais et des aventures puisées dans La Vie des Hommes illustres.
Georges Lautner est décédé vendredi 22 novembre, à l’âge de 87 ans, des suites « d’une longue maladie » (en général, on nomme ainsi le cancer, comme s’il était honteux). Il était le fils d’une comédienne (qui apparaîtra dans plusieurs de ses films) et d’un aviateur. Son père meurt dans un accident lors d’un meeting aérien, en 1938, alors que Georges n’a que 12 ans : « Là, j'ai commencé à comprendre que la vie, ce n'était pas ce qu'on lisait dans les bouquins d'enfant. C'était vraiment le premier choc dégueulasse, la première épreuve qui m'a toujours marquée…»
Pourtant, comme beaucoup, Lautner se remet de ses blessures grâce à l’humour et l’art : le cinéma, en particulier les comédies policières populaires. Trop timide pour être acteur, il réalise son premier film en 1958, La môme aux boutons. Son plus grand succès, Les tontons flingueurs, sort en salles cinq ans plus tard.
Devenu culte au fil des années, il est vivement critiqué par la presse spécialisée lors de sa sortie : « Je n'ai jamais compris pourquoi ce film avait marché. La critique était contre nous. C'est sorti, à l'époque, dans quatre salles à Paris. Ça n'a pas été un triomphe ».
En effet, Les tontons flingueurs est réalisé en pleine période de la nouvelle vague. La comédie populaire franchouillarde, les gangsters miteux ne sont pas au goût de la presse intellectuelle élitiste. Lautner le réalisateur et son fidèle acolyte Audiard le dialoguiste souffrent beaucoup du manque de reconnaissance de leurs pairs. Mais « la bave du crapaud n’empêche pas la caravane de passer ». Et « l'idéal quand on veut être admiré, c'est d'être mort. »
D'accord, d'accord, je dis pas qu'à la fin de sa vie Jo Le Trembleur il avait pas un peu baissé. Mais n'empêche que pendant les années terribles, sous l'occup', il butait à tout va. Les tontons
Flingueurs quoi ! Aujourd’hui, 50 ans après la sortie de ce film culte, seuls Venantino Venantini (83 ans) et Claude Rich (84 ans) sont encore vivants… (le chat noir va encore porter la poisse…)
Malgré le rejet des critiques de cinéma, le public plébiscite les films de Lautner, mettant en scène les acteurs les plus illustres : Lino Ventura, Bernard Blier, Francis Blanche (Les tontons flingueurs) Gabin (Le pacha), Delon (Mort d’un pourri), Belmondo (Flic ou voyou), Jean Yanne (Laisse aller, c’est une valse), et comme actrice, le plus souvent Mireille Darc.
Les films de Lautner restent célèbres pour les personnages, aussi pittoresques du premier au dernier rôle, mais surtout grâce aux dialogues de Michel Audiard, dont chacun en connaît au moins une paire… Certaines bandes originales deviennent aussi célèbres, comme Chi mai d’Ennio Morricone dans Le professionnel. (Je l'avais sur une cassette et je prononçais le titre comme il s'écrit en français.) Je me souviens toujours de cette dernière scène, où Belmondo se dirige vers l’hélicoptère… Malheureusement je me rappelle aussi du chien qui court dans la pub qui reprend la chanson... Lautner fait appel aux plus grands compositeurs de musique de films, comme Philippe Sarde (Les choses de la vie, Le locataire) pour La valise par exemple. Même si les films du cinéaste ne font pas dans la dentelle, ils ont jalonné mon enfance, lorsque je regardais les films populaires de Ciné dimanche et son générique plein de promesses de cinéma…
Parmi mes préférés, je citerai le moins connu Il était une fois un flic, avec Mireille Darc et Michel Constantin, mais l'acteur le plus drôle est le gamin ! Les dialogues sont cette fois-ci de Francis Veber. J'aime beaucoup aussi La valise, avec mon chouchou la plus belle voix du monde Jean-Pierre Marielle. Sur la fin de sa carrière, Lautner a délaissé les comédies, avec par exemple en 1988 La maison assassinée avec Patriiick Bruel, qui avait beaucoup marqué l’enfant que j’étais. Son dernier film date de 1992, L’inconnu dans la maison, une adaptation de Simenon, avec Bébel dans le rôle titre.
La télévision rend hommage à George Lautner, en diffusant ce soir, Ne nous fâchons pas, puis Le guignolo sur HD1, et Laisse aller c’est une valse sur Paris première.
Georges Lautner sera enterré dans sa ville natale, Nice.
Oh, dans le fond, y'a pas de quoi pleurer ! Il revient tout simplement à Saint-Denis, Albert. Il revient après un grand tour inutile, c'est tout. Il va enfin pouvoir se reposer de toutes ses singeries, de toutes ses fatigues, chez lui, là, tout près de la Seine. Autrefois, avant que le béton vienne manger l'herbe, c'est là qu'on regardait passer les bateaux, tous les deux. On jouait à faire semblant de croire qu'elles allaient à Shanghai, les péniches, ou qu'elles passaient sous le pont de San Francisco. Et lui, Albert, il a dû continuer longtemps à faire semblant d’y croire. À croire des trucs, des machins. C'est peut-être bien à cause de ça qu'il est mort…
Et vous, quel est votre film de Lautner préféré, votre citation d’Audiard favorite ?
Quiz On connaît le film, avec des citations d'Audiard à retrouver dans le texte...
Une filmographie sélective de George Lautner, réalisateur de 42 films :
1961 : Le Septième Juré
1963 : Les Tontons flingueurs
1964 : Les Barbouzes
1966 : Ne nous fâchons pas
1968 : Le pacha
1970 : Laisse aller... c'est une valse
1971 : Il était une fois un flic
1972 : Quelques messieurs trop tranquilles
1973 : La valise
1974 : Les Seins de glace
1977 : Mort d’un pourri
1979 : Flic ou Voyou
1980 : Le Guignolo
1981 : Le Professionnel
1984 : Joyeuses Pâques
1985 : La Cage aux folles 3
1986 : La vie dissolue de Gérard Floque
1988 : La Maison assassinée
1992 : L'inconnu dans la maison
18:40 Publié dans La rubrique nécrologique, On connaît la chanson, On connaît le film | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : mort georges lautner, cinéma, télé, michel audiard, les tontons flingueurs, il était une fois un flic | | Facebook
Commentaires
ah j'ai pensé à toi quand l'annonce est tombée, je me suis dit Papillote a trouvé son sujet du dimanche soir ! Merci Lautner !
Bon, moi j'ai vu quelques uns de ses films enfant mais je n'ai pas de films de lui dans mes préférés. Bizarrement, l'un de mes meilleurs souvenirs est Joyeuses Pâques et j'ai aussi vu la Maison assassinée. Je n'étais pas très fan de Belmondo à vrai dire.
J'ai écouté ce soir le podcast de Canteloup et j'adore la fausse homélie de François Mitterrand, elle rend bien hommage à ce cher Launter.
Écrit par : Electra | 25/11/2013
Electra : le problème avec ces films, c'est que les femmes n'ont pas le beau rôle, alors quand j'étais enfant je m'identifiais aux mecs. C'était + cool d'être drôle ou imperturbable comme Belmondo que cruche comme les femmes de ces films. Je n'ai pas entendu frédo, je vais l'écouter ;-)
Écrit par : Papillote | 25/11/2013
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