11/07/2019
Parasite, qui est l'intrus ?
ENFIN !!! Enfin Bong Joon-Ho est récompensé, et par la palme d'or ! Enfin il est reconnu du grand public : un million d'entrées ! + de 15 ans, depuis l'énorme claque de son chef-d'oeuvre Memories of murder, 15 ans que je dis qu'il est un génie ! Mais la plupart du temps, on me répond : "qui c'est ?"
Quand je bossais au service culture d'un journal, à la réunion de travail, la rédactrice en chef m'avait sommé :
- Toi aujourd'hui, tu vas interviewer Machin (réalisateur français tombé dans l'oubli)
- Ah non, ya le festival du cinéma asiatique, j'y vais chaque année, avec Bong Joon-Ho qui vient présenter son dernier film, je ne rate pas ça !
- Le cinéma asiatique ? Quel intérêt ? (sic !)
- C'est juste le meilleur cinéma actuel, c'est tout.
- Jamais entendu parler. (sic bis) Tu iras interviewer le réalisateur français insignifiant."
(Pourquoi mettre à la tête d'un service culture, quelqu’un qui en manque cruellement...)
Evidemment j'ai désobéi. Je me souviens encore de la tête éberluée de la rédac chef quand elle s'en est aperçue.
Parasite m'a rappelé l'époque où je donnais moi aussi des cours particuliers à "mlle de", une aristocrate. Une vraie peste qui croyait que tout lui était dû et ne voyait donc pas l’intérêt d'étudier, puisque de toute façon, elle réussirait grâce à son nom connu et son réseau (aujourd'hui, elle bosse pour une start-up). Sa sœur en revanche estimait que les gens médiocres à l'école finiraient "poubelleurs".
Comme la demeure de Parasite, celle de Mlle de était immense. Le salon recouvert de marbre et de mobilier Louis Philippe acheté aux enchères était plus grand que l'appartement HLM où on avait vécu à 6, et j'en veux pour preuve que les petites y jouaient au badminton et à la trottinette... Le père fumait des gros cigares en lisant "yacht magazine" et la mère menaçait de s'installer en Suisse "car en France on paie trop d’impôts".
La leçon sur la révolution française et les classes sociales m'a marquée par cet échange :
"C'est quoi être riche pour toi ?
- Ben vivre dans un château.
- Mais alors tu es de quel niveau toi ?
- Bah normale" (dire que moi aussi la gueuse, je me considérais de la classe moyenne...)
La mère m'avait ensuite confié ses problèmes financiers, relativisant selon elle le fait qu'elle me payait au lance pierres : la famille venait d'acheter, en plus de leur logement principal dans le quartier le plus huppé de la ville, un chalet à Courchevel : "on a hésité, mais on a pensé que les enfants seraient plus à l'aise avec chacun leur espace, donc on a choisi finalement un chalet plus grand avec une 4ème chambre, et du coup on a dû l'acheter à crédit. Sinon avec juste 3 chambres, on le payait comptant évidemment."
Evidemment.
Comme la mère de Parasite qui estime que les gribouillis de son morveux sont dignes d'un génie (il est juste incompris) la mère de Mlle de expliquait le désintérêt de sa progéniture pour les études par le fait que la gamine était "surdouée" donc qu'elle "s'ennuyait" avec des gosses qui n'étaient pas de son niveau intellectuel. La petite peinait pourtant à soutenir un raisonnement cohérent, ses rédactions et son orthographe restaient déplorables. Mais la mère a quand même réussi à faire admettre sa fille dans "le meilleur collège privé de la ville" ("je connais bien le directeur, c'est un ami de la famille, il me doit bien ça".)
Avec ses propos de connivence comme si je les approuvais automatiquement, comme si on faisait partie du même milieu, je ne sais pas si la mère était si repliée sur son monde qu'elle ne se rendait pas compte que je n'en faisais pas partie, ou si elle estimait que mon avis de gueuse ne primait pas et tentait de me rabaisser, en me jetant à la face ses privilèges. En tout cas, l'histoire ne s'est pas terminée comme dans le film, mais comme pour Parasite, je me demande encore : "qui est l'intrus ?"
16:09 Publié dans Oh ? y a des gens autour !, On connaît le film, Parfois, je travaille | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, parasite, c'est la lutte finale | | Facebook
09/07/2019
Parasite
Ma critique pourrait se résumer en une courte phrase : "c'est génial, courez-y." Allez voir ce chef-d'oeuvre comme je l'ai fait, sans savoir de quoi il parlait : le nom de Bong Joon Ho, l'un de mes réalisateurs préférés, me suffit. Sinon, vous pouvez lire la suite :
Dans Parasite, toute une famille est au chômage. Elle habite un quartier insalubre envahi de cafards, et vivote comme elle le peut de petits boulots. Le fils réussit à donner des cours particuliers chez des gens richissimes. En découvrant leur train de vie et la paie qu'il reçoit, il décide de faire recruter sa famille pour qu'elle en profite aussi... Voir la bande annonce en lien.
La première partie du film, un sourire béat illuminait mon visage, au point que j'en avais mal aux zygomatiques. Ce début en comédie sociale pleine de rebondissements est totalement jouissif. La suite tourne à la comédie noire, au thriller, voire au gore. Parasite est si riche qu'il en est inclassable.
Sous son apparence de comédie parfois grand guignol, Parasite est d'une grande profondeur et n'interroge pas seulement la société coréenne actuelle : le chômage touche le monde entier, et l'argent domine le monde. Qui sont les parasites au final ? Les pauvres qui veulent bosser à tout prix, ou les riches qui leur demandent de faire des choses qu'ils réprouvent ou jugent humiliantes (se déguiser lors d'une fête pour enfants) : "je vous paie pour ça".
Les personnages, pauvres ou riches, sont cupides, stupides et condescendants : les pauvres bernent les riches trop crédules, les riches estiment qu'ils sont supérieurs (les dessins du gamin sont forcément géniaux) que les pauvres sentent mauvais... Même s'ils se côtoient quotidiennement, ils ne comprennent pas ce que vivent les autres : lors d'un déluge qui ravage les habitations insalubres des bas quartiers, les riches de la colline se réjouissent de la fraîcheur apportée par l'averse... Tous vivent pour l'argent, mais aussi pour leur famille.
A l'image de la filmographie du réalisateur, Parasite traite de l'importance des liens familiaux. Le père de Bong est décédé lors de l'écriture du scénario, et le film semble un hommage au dévouement de cet homme.
Bong Joon ho apprécie Claude Chabrol, son film préféré de ce cinéaste, qu'il a visionné des dizaines de fois, est le même que moi, l’excellent Que la bête meure. Gros choc de mon adolescence, avec l'inénarrable Jean Yanne en brute perverse : "eh bien ce ragoût est tout simplement dégueulasse" demeure une de mes boutades fétiches pour casser l’ambiance des dîners de famille, comme dans cette scène en lien. Comme chez Chabrol, on retrouve la satire grinçante des bourgeois dans Parasite. Les pauvres "affreux sales et méchants" ne sont pas en reste. Par son côté thriller et suspense, le Coréen revendique également les inspirations de Clouzot (Les diaboliques) et d'Hitchcock. Il s'est également inspiré du classique La servante de Kim Ki young, ou dans un registre plus européen, the servant de Joseph Losey.
Si je devais émettre des bémols, j'ai trouvé le film un poil long, et je n'imaginais pas la fin ainsi, mais justement, le réalisateur nous surprend jusqu'au dénouement.
La palme d'or met enfin en lumière un cinéaste qui le mérite. Comme souvent, le festival de Cannes se réveille des années après, et ne récompense pas selon moi le meilleur film du nouveau palmé. Parasite est peut-être plus accessible que le reste de la filmographie de Joon Ho. Lors d'une rencontre avec le distributeur, il avouait avoir été scotché par Memories of murder en 2003, mais ne pas l'avoir acheté car "le public français n'était pas prêt". L'erreur est réparée 15 ans après, en le ressortant en salles, et en obtenant les droits de Parasite.
17:17 Publié dans On connaît le film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bong joon ho, parasite, cinéma, palme d'or, cannes 2019 | | Facebook
29/06/2019
Greta, un rôle à la mesure d'Isabelle Huppert
C'est-à-dire foldingo.
La jeune Frances (Chloë Grace Moretz, Kick-Ass) trouve un sac à main égaré dans le métro de New York. Elle le rapporte à sa propriétaire, Greta (Isabelle Hupert). Cette dernière se sent seule, depuis son veuvage et le départ de sa fille adulte. Frances vient justement de perdre sa mère. Les deux femmes se lient d’amitié, comblant ainsi les manques de leurs existences. Mais le comportement de Greta se révèle de + en + étrange... Voir bande annonce en lien.
Greta est l'oeuvre de Neil Jordan, réalisateur de Michael Collins et La compagnie des loups. Le goût de la manipulation et son sens du suspense s'observaient déjà dans ses précédents films comme Entretiens avec un vampire, A vif ou Prémonitions, et se voient encore illustrés dans Greta.
Quel plaisir de retrouver Chloë Grace Moretz, qui a bien grandi depuis Kick-Ass, où elle n'avait que 13 ans ! Le garçon manqué ultra combatif qui préférait les armes aux poupées est devenu une jeune femme fragilisée par le décès de sa mère. Petite fleur qui ploie sous le poids du chagrin, un peu écrasée par la grande ville de New-York, où elle occupe le poste difficile de serveuse dans un grand restaurant, un peu écrasée par le caractère de sa meilleure amie Erica, très extravertie, Frances préfère se replier sur elle-même. Jusqu'à sa rencontre avec Greta. Cette femme semble encore plus perdue et seule que Frances : elle ne sait pas se servir d'un portable, voudrait bien adopter un chien... Greta est ravie de l'aider : elle oublie ses propres soucis et a l'impression de retrouver sa mère. Greta est bien un peu excentrique, avec son franc-parler, mais elle est rigolote, un peu comme Erica ! Celle-ci trouve la nouvelle fréquentation de sa copine bizarre, mais n'est-elle pas plutôt jalouse ? Car Frances et Greta deviennent de plus en plus proches. Un peu trop...
L'angoisse monte crescendo, j'étais aussi tendue que Frances, pensant comme elle : "est-ce que c'est normal ça ? Ou bien suis-je parano, pas assez confiante, j'ai trop d'imagination? Elle est juste gentille et compréhensive, ou elle se fait avoir ? Et là, comment devrait réagir Frances? Que va faire Greta? " J'ai apprécié les ressorts psychologiques et de jouer la psy qui tente de décrypter les personnages.
Isabelle Huppert, toujours extravagante, a trouvé un rôle à sa mesure. Elle est au début touchante et marrante, puis troublante, effrayante, enfin grotesque... En un mot, elle est déstabilisante. Je me demandais parfois, surtout vers la fin, s'il était judicieux qu'elle en fasse autant, car ses réactions étaient parfois si bizarres qu'elles en étaient plus risibles qu'angoissantes. En tout cas, le suspense est nourrit jusqu'à la fin et il fonctionne, car je suis sortie de la séance avec les bras raidis : malgré moi, je m'étais agrippée à mon siège. D'autres spectateurs journalistes soufflaient aussi pour relâcher la pression (même si j'en ai lu certains se ressaisir ensuite en critiquant, comme s'ils voulaient dire "nan pas vrai ! J'ai pas eu peur !")
Par sa relation d'emprise, Greta m'a rappelé l'excellente adaptation du Misery de Stephen King. Si vous aimez ce genre, vous apprécierez forcément Greta.
23:32 Publié dans On connaît le film | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : cinéma, thriller, suspense | | Facebook
02/04/2019
Captive state, la nouvelle armée des ombres
Les extra-terrestres ont envahi la Terre. Le gouvernement collabore avec l'envahisseur, pour maintenir l'humanité en vie, mais aussi être maintenu au pouvoir. Il exerce un contrôle constant sur la population. Chaque individu porte un implant qui le surveille, les voyages sont interdits, et internet a été coupé pour empêcher les communications. Le peuple est sommé de travailler pour les aliens, en extrayant pour lui les ressources naturelles de la planète. Mais clandestinement, à Chicago, des rebelles tentent de combattre l'ennemi et de rétablir la liberté… voir la bande annonce ici en lien.
J'ai adoré ce film. Pour moi il traite d'un sujet essentiel : l'importance de la résistance pour obtenir de bonnes conditions de vie. Qu'est-on capable de faire pour la liberté ? Vaut-il mieux rester en vie mais en étant esclave, ou se battre, quitte à mourir dans l'ombre et à se sacrifier pour les autres ? La majorité accepte d'être privée de ses droits, car on s'habitue à tout, en justifiant ses reculs par les éternels : "oui mais ya pire ailleurs" "oui mais au moins on garde ça".
Captive state est-il un simple film d'action à la Independence day, où un héros dégomme à tout-va les méchants aliens avec sa bande de potes ? Absolument pas. Le film est beaucoup plus subtil. On ne voit quasiment pas les envahisseurs, qui vivent en sous-sol. Comment atteindre un ennemi invisible, qu'on ne connaît pas ?
L'ennemi bien plus présent est le gouvernement. Il collabore avec les extra-terrestres afin de garder sa place au pouvoir. Il justifie cette position par des discours de propagande : depuis que les aliens sont sur Terre, la criminalité a fortement diminué, le chômage est inexistant. Evidemment, l'armée est omniprésente et supprime les fauteurs de troubles. Le chômage n'existe plus puisque les humains travaillent de force pour les envahisseurs. Mais la liberté d'expression n'existe plus non plus, les gens sont tous fichés, filmés et écoutés au moindre signe suspect, jusque dans leur chambre à coucher. Les médias sont contrôlés, la communication, la liberté d'expression et de circulation ne sont plus possibles. Le gouvernement fait croire que la surveillance de la population est pour son bien, pour maintenir la sécurité.
Le parallèle avec l'actualité est évident. En Chine, la population accepte d'être surveillée et notée en permanence, en France, on remet en cause le droit de manifester, aux Etats-Unis, Trump sévit...
Captive state est exactement ce que j'attends d'un film : du divertissement, avec une vraie histoire, de la tension constante (vont-ils réussir ?) un découpage et une mise en scène parfaits, avec une musique qui colle parfaitement aux images. De l'émotion, du suspense, mais aussi de la réflexion sur des sujets primordiaux. Tout le long du film, je pensais "que ferais-je à leur place ? que feraient les autres ?" Sous couvert de science-fiction futuriste, Captive state livre en réalité une réflexion essentielle sur la société actuelle, sur les dérives d’un État de surveillance et la menace qui pèse sur les droits civiques et les libertés individuelles.
Le film est réalisé par Rupert Wyatt. Le basculement de société était déjà à l'oeuvre dans son plus grand succès : la planète des singes, les origines. Les résistants de Chicago en 2025 rappellent ceux de la France occupée pendant la seconde guerre mondiale. Le réalisateur confirme ses références, Jean-Pierre Melville et son magistral L'armée des ombres fait partie de ses films préférés.
Comme L’armée des ombres, Captive state est un film sur la résistance, qui décrit parfaitement les rouages d'un réseau clandestin. L'incroyable capacité des rebelles à se débrouiller avec les moyens du bord, leur habileté à contourner la censure est captivante et admirablement décrite. Le film ne glorifie pas un héros seul qui sauve le monde, mais montre des individus lambda, qui ne se connaissent pas, aux profils très différents, qui se réunissent pour un but commun : combattre l'ennemi et libérer le peuple. Ils savent qu'ils doivent opérer en secret, sans montrer leur bravoure, sans se faire remarquer.
Les rapports complexes et ambigus entre les personnages évitent tout manichéisme. Pas de gentils super héros d'un côté, pas de méchants abjects de l'autre. Chacun à ses raisons justifiées. Le policier maintient une forme de paix et veut éviter au fils de son ami une mort certaine s'il rentre dans la résistance. Le jeune particulièrement tête à claques je trouve, pense d'abord à se sauver lui et sa copine. Il ne veut pas combattre car il a peur de mourir, qu'on s'en prenne à ses proches. Un autre au contraire, qui a pourtant l'aspect veule et falot, devient en fait résistant "pour l'avenir de son fils"...
Je ne peux que vous encourager à voir Captive state, demain dans les salles.
19:25 Publié dans On connaît le film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : captive state, metropolitan films, cinéma, science fiction | | Facebook