22/06/2021
La fille de Ryan
1916, dans un village d'Irlande en bord de mer. Rosy est une jeune fille fantasque qui adore se promener en rêvant, ce que le curé et les habitants ne voient pas d'un bon œil. Elle s'attend à une vie aussi romanesque que les livres qu'elle dévore. Elle se marie avec le sérieux, gentil et cultivé maître d'école, de 15 ans son aîné (Robert Mitchum). Mais elle découvre vite que la vie de couple dans un village aux mentalités étriquées ne peut lui apporter ce dont elle rêve. C'est alors que des soldats anglais, les ennemis jurés de ses compatriotes Irlandais, s'établissent dans le village, avec à leur tête un beau major, traumatisé de guerre... Voir la bande-annonce en lien.
J'avais adoré La fille de Ryan à l'adolescence, et il tient toujours ses promesses aujourd'hui. Souffle épique, romanesque, comme les autres films de son réalisateur : Lawrence d’Arabie, Le pont de la rivière Kwai, Docteur Jivago... Pourtant à sa sortie, ce film sublime a été éreinté par la critique !
L'héroïne fait penser à Madame Bovary, femme passionnée souhaitant se libérer des carcans. Elle est sublimée par les décors absolument splendides de l'Irlande, la photo et la mise en scène. Chaque image est un tableau parfaitement agencé, une explosion de couleurs qui rappelle les impressionnistes immortalisant la côte bretonne. Rosy se promenant avec son ombrelle évoque La femme à l'ombrelle de Monet. Le décor appuie les pensées des personnages : la mer ensoleillée et infinie, les falaises qui les surplombent que l'héroïne gravit, représentent la grandeur de ses rêves. Les délicates fleurs de lys symbolisent son innocence et son amour naissant... Rosy est écrasée par la nature immense comme par le poids des traditions, menacée par la tempête comme par sa passion interdite... La mise en scène et les décors montrent à merveille les débordements de la passion. La scène d'amour cachée dans la forêt, entrecoupée de détails symboliques de la nature, est saisissante d'originalité et de naturel. Pourtant, à l'époque, ce parti-pris a été jugé ridicule ! "Le public va-t-il se laisser séduire par les orgasmes de pacotille et l'artisanat superficiel ?" ainsi a jugé Pauline Kael. J'ai pensé le contraire, la scène fait vrai : pas de hurlements simulés justement. On sent la journaliste aigrie et frustrée qui ne sait pas de quoi elle parle...
Malheureusement l'influence de Pauline Kael était grande. Ses critiques peu objectives, maniant les bons mots méchants et mesquins, détruisaient des réputations. Preuve de son manque de discernement : elle détestait Kubrik, surtout Orange mécanique et 2001 l'odyssée de l'espace, mais aussi Clint Eastwood et Meryl Streep ! A propos de la fille de Ryan, elle a écrit : "le vide apparaît à chaque image" alors que c'est justement tout l'inverse ! On pourrait même reprocher au film le contraire : d'être lourd de symboles. Chaque image est travaillée, arrière plan, second plan, tout à un sens !
Traumatisé par cet accueil incompréhensible pour moi, David Lean ne touchera plus une caméra pendant 15 ans... Une tragédie aussi grande que ces films : combien de chef-d’œuvre avons-nous perdus ainsi ? Aujourd’hui, la fille de Ryan a enfin obtenu son statut de film culte. Bémol pour moi : la musique de fanfare grotesque de Maurice Jarre, trop décalée et outrancière (on n'est pas dans Freaks !)
La fille de Ryan de David Lean, 1970 sur TCM cinéma
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18/06/2021
La commune, portraits d'une révolution
L'art de la propagande à travers la photographie, une bataille des images communardes et versaillaises qui nous rappellent qu’un témoignage n’est pas neutre...
En mars 1871, lorsque la Commune de Paris est proclamée, les photographes sortent pour la première fois de leurs ateliers et descendent dans la rue pour immortaliser l’histoire en marche. A l'époque, la lourdeur des appareils, la fragilité des plaques de verre et la longueur du temps de pause ne permettent pas des clichés sur le vif, comme le célèbre "mort d'un soldat républicain" de Robert Capa en 1936, qui photographie un combattant au moment où une balle l'atteint.
Pendant la commune, le sourd-muet Bruno Braquehais est considéré comme le premier photoreporteur de l’histoire. Il demande aux combattants de prendre la pose fièrement et les glorifie par ses compositions, en les montrant comme braves et courageux.
En juin, une fois la révolution terrassée, les clichés de Braquehais sont pour beaucoup censurés et interdits à la vente. La police s'en sert comme pièces à conviction pour identifier, traquer et condamner les insurgés. Le photographe qui voulait aider les communards en magnifiant leur cause, les conduit ainsi en réalité à la mort. Il meurt lui-même peu après, à 52 ans, ruiné.
A l'inverse, des photographes anti communards, tels André Disdéri et Ernest Appert, qui avaient quitté Paris au moment des émeutes et n'ont donc pas pris de photos des barricades, reviennent ensuite. Ils montrent Paris en ruine, accusant les communards d'avoir détruit la ville. Ils n'hésitent pas à prendre des clichés des fusillés et des cadavres dans leur cercueil et à les vendre, ce qui leur permet de s'enrichir considérablement, le morbide ayant toujours fait recette. Appert reconstitue même des scènes ayant ou pas existé, avec figurants et photomontage, se servant de l’impression du réel de la photographie pour bâtir une série d’images falsifiées baptisée « les crimes de la Commune ». Il se rend aussi dans les prisons pour photographier chaque communard, dans le but de les montrer affreux sales et méchants et de répugner le public. Pourtant, cela provoque l'effet inverse : il en fait des martyrs, et c'est grâce à ses nombreux portraits que les communards comme Louise Michel par exemple sont aujourd'hui célèbres.
Ainsi, le photographe communard qui voulait les aider avec ses clichés les a en réalité conduit à la mort et a été contraint de détruire ses photos, et le photographe anti insurgés qui voulait les dénoncer les a au contraire immortalisés en martyrs ! Quelle ironie du sort.
Je ne voulais pas regarder ce documentaire, ayant vu récemment cet excellent docu en lien, Les damnés de la commune et pensant ne rien apprendre de nouveau. Pourtant, si : on compte plus de fusillés en masse après les combats que de morts sur les barricades. Entre 10 et 20 000 personnes ont trouvé la mort, mais on a enterré leurs souvenirs comme leurs cadavres. J'ai ainsi découvert qu'au parc des buttes Chaumont 300 communards ont été jetés dans le lac, 800 emmurés derrière la cascade de la grande grotte. Aujourd'hui les enfants et les jeunes mariés traditionnellement pris en photo devant ce lieu ignorent son passé sordide... Seule une plaque commémore les 147 fusillés contre le mur du père Lachaise, mais le sacré cœur construit rapidement sur les cadavres "pour expier les crimes de la commune" n'en fait pas mention. Les fusillés tombaient en criant "la république ou la mort !" et c'est en hommage à un fusillé qu'a été composée la chanson l'internationale en 1871.
La commune, portraits d'une révolution, France5, la case du siècle, en lien jusqu'au 01/07
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16/06/2021
Antoinette dans les Cévennes
Antoinette devait profiter d'une semaine de vacances avec son amant (Benjamin Lavernhe, le marié du Sens de la fête, revoir sa danse en lien) mais ce dernier annule pour randonner à dos d'âne avec sa femme. Sans réfléchir, Antoinette part à ses trousses. A la place de son amoureux, elle rencontre Patrick, un âne récalcitrant...
En voyant la bande annonce au cinéma, j'étais circonspecte : encore une comédie française banale, sans saveur et lourde. Mais quelle bonne surprise ! Le pitch d'une simplicité désarmante est en réalité malin, tout coule de source. Dès la première scène, je suis tombée sous le charme : lors de la kermesse, l'héroïne, professeure des écoles, fait chanter une chanson un peu inappropriée à ses élèves, pour ensuite leur voler la vedette et crier à pleins poumons : amoureuse de Véronique Sanson. Elle parle en réalité d'elle et de sa situation :
Une nuit je m'endors avec lui
Mais je sais qu'on nous l'interdit
Et je sens la fièvre qui me mord
Sans que j'aie l'ombre d'un remords
Je ne veux pas qu'arrive le soleil
Quand je prends sa tête entre mes mains
Je vous jure que j'ai du chagrin
Si cet amour aura un lendemain
Quand je suis loin de lui
Je n'ai plus vraiment toute ma tête
Et je ne suis plus d'ici
Je ressens la pluie d'une autre planète
Comme Stevenson, Antoinette retrouve la paix intérieure en marchant seule : "l'important, ce n'est pas la destination, mais le voyage".
Un film rafraîchissant de vacances, parfait à voir en ce moment sur Mycanal.
Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal, 2020
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15/06/2021
Bilan culture de mai
Oui je sais on est mi-juin. Mais j'étais trop occupée par ma nouvelle activité : faire un puzzle, alors que ma dernière expérience dans le domaine remonte au millénaire dernier avec un dessin Winnie l'ourson de 30 pièces. Je me suis donc fort logiquement lancée directement dans un puzzle 30 fois plus grand, un peu comme si quelqu'un qui ne connaît le sport qu'à travers les matchs de l'euro sur sa télé se lançait directement dans un marathon. Telle une poule devant un tournevis, je regarde chaque pièce une par une en me demandant ce qu'elle représente : un bout de chat ? une fleur ? Elle va à droite, à gauche ? Et la tâche n'étant pas assez facile, je suis daltonienne. J'avais réussi à regrouper des pièces de chat bleu (à moins qu'il soit noir ?) avant de me rendre compte en fait qu'elles représentaient le sol violet (marron ?) Je me retrouve actuellement coincée avec des pièces vertes et grises alors que je n'en vois pas sur le dessin. Je délaisse ainsi au bout de 3 semaines le puzzle (je tiens le bon bout : plus que... les 2 tiers) pour revenir à quelque chose que je connais un peu mieux : écrire des bilans. J'ai rédigé des critiques pour chaque film et documentaires, que je publierai plus tard, si je n'oublie pas comme souvent de le faire !
J'essaie toujours de voir ou d'écouter un documentaire par jour, mais je galérais et me concentrais tellement sur mon puzzle que je n'ai presque pas retenu ce que je regardais. Sur la trentaine de doc, je n'en retiens qu'une quinzaine :
DOCUMENTAIRES :
A voir absolument :
- La bataille de Tchernobyl à voir en lien
500 000 "liquidateurs" se sont sacrifiés pour éviter que la catastrophe de la centrale nucléaire empire et que la moitié de l'Europe soit inhabitable. Leur récompense ? une prime de 100 roubles (environ 100 euros) aucune reconnaissance de leurs nombreuses maladies qui les tuent à petit feu, enfin pour ceux qui ne sont pas morts rapidement... Effrayant.
- La commune, portraits d'une révolution, Fr5, en lien jusqu'au 01/07
L'art de la propagande à travers des photomontages anti-communards, ou à l'inverse des images magnifiant leur combat. Très instructif et toujours actuel : cette bataille des images communardes et versaillaises nous rappellent qu’un témoignage n’est pas neutre... Voir mon article ici.
- Sugarman de Malik Bendjelloul
L’incroyable histoire vraie d'un musicien dont les albums ont fait des flops en Amérique. Fauché, il est contraint de vivre de petits boulots. Pourtant, son talent est indéniable et sa voix éraillée, ses chansons à texte réalistes et poétiques rappellent voire surpassent Bob Dylan. Jusqu'à ce que 30 ans plus tard, on découvre qu'il est une immense star en Afrique du Sud, plus célèbre que les Rolling Stones... Une enquête pleine d'émotion et d'espoir, avec un artiste à la personnalité hors normes, humain, simple et philosophe.
Société :
A voir :
- Homothérapie, conversion forcée, arte jusqu'au 15/08
- Nos données personnelles valent de l'or, cash investigation jusqu'au 20/02
- Très chers colis ! envoyé spécial, jusqu'au 10/07
Pas mal :
- Travail, salaire, profit, épisode 1, travail. Arte.tv, jusqu'au 19/10
- Les fils de Sam en 4 épisodes sur Netflix
Portraits :
- Sophie Scholl, ces femmes qui ont fait l'histoire, Arte
- François Mitterrand et Anne Pingeot, fragments d'une passion amoureuse, La case du siècle, France.tv
- Hollywood maudit : la porte du paradis, OCS
Sciences et histoire :
- Retour à Tchernobyl, M6
- La guerre de Troie a bien eu lieu, France5, science grand format
- Naachtun, la cité maya oubliée, 2 épisodes
- Les ovnis envahissent l’Europe, Disney+
FILMS :
Coups de cœur :
- Antoinette dans les Cévennes de Caroline Vignal, 2020
- La fille de Ryan de David Lean, 1970
Les classiques incontournables :
- Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino, 1978
Un film qui m'avait traumatisée adolescente. Aujourd'hui, me souvenant des scènes de roulettes russes et ayant vu des documentaires et images d'archives sur la guerre du Vietnam, le film est plus regardable. J'ai surtout été surprise par la longueur du mariage : une heure entière ! (sur 3 heures de film) je me demande si je n'avais pas vu une version courte auparavant.
- Papillon de Franklin J. Schaffner, 1973
Henri "Papillon" Charrière (Steve McQueen) condamné à tort pour un crime qu'il n'a pas commis, est condamné à vie au bagne de Cayenne. Il tente de s'évader à plusieurs reprises, avec l'aide d'autres malfrats (Dustin Hoffman).
Tiré d'une histoire vraie, un film culte effroyable sur les conditions dans les colonies françaises (enfermé 2 ans dans le noir, vraiment ?!) L'épisode qui m'a semblé le plus incroyable est l'escapade paradisiaque chez des Indiens recueillant Papillon, lui donnant une femme... En vérifiant, ce passage aurait été inventé ! Le film serait romancé : si Henri Charrière s'est bien évadé du bagne, il s'attribuerait en réalité les faits et évasions de plusieurs bagnards.
- Les monstres de Dino Risi, 1963
19 sketches interprétés par Vittorio Gassman♥ (Le fanfaron, Nous nous sommes tant aimés..) et Ugo Tognazzi (la cage aux folles) démontrant avec humour noir toute la bassesse humaine. Dommage que la chaîne C8 n'ait pas diffusé sa suite encore plus saisissante selon moi, Les nouveaux monstres...
Bien :
- Le vent se lève de Ken Loach, 2006
- Les choses qu'on dit, les choses qu'on fait d'Emmanuel Mouret, 2020
- La vallée des loups de Jean-Michel Bertrand, 2016
- Les baronnes d'Andrea Berloff, 2019
Pas mal :
- Le canardeur de Michael Cimino, 1974
- Peppermint candy de Lee Chang-Dong, 2000
Bof :
- Le chat Potté de Chris Miller, 2011
16:17 Publié dans Je suis culturée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, documentaires, cinéma français | | Facebook