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06/12/2008

Je suis bien de chez moi

Je suis bien de chez moi. J’ai l’accent du coin et je parle le patois local. Je m’en suis vraiment rendue compte en arrivant à la fac. Les étudiants venaient de différentes régions et les accents fleurissaient. Par exemple Stéphanie la stéphanoise (faut le faire !) prononçait « un » au lieu de « an »

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Dans la Loire (où j’ai habité an un, euh, un an), ils remplacent les « o » par « eu ». Tandis que les autres élèves tremblaient, j’étais morte de rire quand le prof nous disait gravement : « j’ai ceurrigé veus ceupies ». J’ai mis une semaine à comprendre ce qu’était le « ceude » qui obsédait tant une copine. En fait elle passait son permis, et donc son « code ». Aujourd’hui encore, elle est incapable malgré ses efforts de prononcer différemment « seul », « sol », « saule ». Heureusement, elle est rarement seule à balayer le sol sous le saule. Ha ha.

En revanche, je n’avais pas pensé qu’on puisse se moquer de moi : l’irréprochable blanche comme neige. Le jour où mes amis de la fac m’ont révélé qu’ils ne comprenaient pas une expression que j’emploie à toutes les sauces, mon petit monde s’est écroulé. Cette expression, c’est « si ça accorde ». Là, si vous êtes de chez moi, vous dites : « bon sang mais c’est bien sûr ! ». Les autres, vous êtes émerveillés : « oh quelle belle expression, quelle poésie...» Je ne vois pas d’autres réactions possibles, non?

Le « si ça accorde » remplace dans un langage aussi imagé « si ça se trouve », ou, pour le commun des mortels, « peut-être ». Pour quelqu’un comme moi qui s’imagine toujours des choses et fait toujours plein d’hypothèses, le « si ça accorde » est carrément devenu un tic de langage. Cette expression est même tellement populaire dans mon patelin qu’elle a des diminutifs : « s’accorde » ou « t’s’accorde ».

En terre inconnue, je me fais repérer au bout de deux jours.
A la fac :
« -Le prof est pas là.
Moi : - Si ça accorde, il est malade, t’s’accorde il sera pas là pour l’exam mardi, on devra le reporter à la semaine prochaine si ça accorde »

Au boulot :
« -Comment ça se fait que Bidule a pas répondu à mon mail ?
Moi : - Si ça accorde, il l’a pas reçu…»

J’emploie des expressions bizarres, je mets des « y » partout et j’accentue les « eu ». Pourtant si on devait dire « e », on écrirait « un fleve », « une feye », et pas « fleuve » et « feuille ». C’est logique quoi. De même, les « y » partout, c’est très pratique. Par exemple, « il tape son chaton ». Le « l » lié au « t », c’est dur à prononcer. Alors que « y tape son chat », ça coule tout seul. C’est facile à dire. Cool quoi. Idem, « j’y mets là », est beaucoup plus évident que « je le mets là », ou pire « je pose le sac ici ». « J’y fais », « j’y sais »…pas de mots superflus, pas de temps à perdre, je suis une femme d’action moi !

Ce langage peut aussi entraîner des quiproquos. Une amie m’a raconté récemment :

« Avec un copain, je vais chercher mon mari à la gare. »
La copine : « Il arrive à et 20.
Le pote: - Quoi ? Mais tu m’as dit qu’il arrivait à gare de Lyon !
- Oui ! Il arrive à et 20 !
- Mais c’est pas du tout là !
- Tu crois qu’on y sera pas s’il arrive à et 20 ?
-Evin, c’est loin
-C’est dans 30 minutes
- C’est à une heure d’ici ! »

Bref, au bout d’un quart d’heure, ils ont compris qu’il confondait la gare d’Evin et l’expression « et 20 ». Au lieu de dire « 20h20 » on dit « et 20 ». Ca évite de répéter bêtement l’heure en cours. On rajoute « et » jusqu’à la demie (et 5, et 10) puis après on dit « moins 25,moins 20 » comme tout le monde. Enfin, je crois?

Dans le bon vieux temps où je bossais dans un journal, la rédac chef a présenté un livre sur mon patois :

« On a reçu ça, mais je pense pas qu’on puisse faire un article sur le sujet. C’est incompréhensible. Ca intéresse quelqu’un ? »
Chaque journaliste feuillette :
« Non…tarabâtre, ça veut dire quoi ? »
« N’importe quoi ! Une catole ! Plus personne parle comme ça !»
J’ose un timide : « Euh…si, moi ».

Comme je suis habituée à être une extraterrestre maintenant, je ne m’insurge pas : « Quoi ? Vous dites pas : « Ca fait flique, j’me suis fait embugner, la bagnole a débaroulé toute la Croix-Rousse ? J’y crois pas ! »

Au moins, on comprend ce que je veux dire. Parce que quand ma mère a revendu la voiture familiale vieille de 15 ans à un vieux paysan, tout ce qu’on a pu décoder en 10 minutes, c’est qu’il allait se servir de titine « juste pour aller voir ses vaches au bout du pré ».

Alors, hein, ya pire que moi. Je parle très bien la France.