08/04/2012
La rubrique nécrologique de la semaine : Claude Miller
La mort nous fascine… Dans ma cambrousse, un vieux rend visite à ma mère uniquement lorsque une personne de leur connaissance est décédée. Comme ils habitent un village où tout le monde se connaît, le vieux vient donc souvent. Lui et ma mère discutent gravement : « Mais il n’était pas si âgé ! C’est terrible tous ces cancers… Et sa femme qu’est ce qu’elle va faire, etc… » Une petite vieille se rend systématiquement à toutes les messes d’enterrements, même des personnes qu’elle ne côtoyait pas. C’est sa sortie du week-end, comme les autres vont se promener au parc.
Je ne connais personne dans notre village, et quand ma mère me dit :
« Le Jacquot est mort…
-Qui don’?
–Mais te sais ben, le Jacquot, on allait chercher le lait à la ferme…
- J’étais pas née je pense à l’époque… » (Quand je suis à la cambrousse je reprends l’accent et les mots patois)
Avec mon frère on a le même intérêt pour les morts, mais pour les célèbres. Je me souviens quand il m’a annoncé le décès de Gainsbourg (on était sur le pont à côté de chez nous et on a regardé longuement l’eau couler, j’en ai déjà parlé) Il avait aussi ouvert la porte de notre chambre brusquement et m’avait réveillée en sursaut pour me dire « Lady Di est morte ! » On laissait de longues et tristes plages de silence pour la mort de Serrault♥♥♥ et Noiret♥♥♥…
Quand l’un de nous apprend le décès d’un artiste, il téléphone à l’autre pour lui faire deviner le nom… Je sais, c’est un jeu morbide, mais vous savez que j’adore les quiz…
Ca n’a donc pas loupé jeudi. Mon frère me téléphone :
"- T’as vu qui est mort ?
A son ton chagriné je comprends que c’est un artiste qu’on appréciait. (J’ai employé le même récemment pour Davy Jones des Monkees, et lui pour m’apprendre le décès de Gérard Rinaldi.)
- Non ! Un Français ?
-Oui.
- Un acteur ?
-Non. (ouf, Jean Rochefort♥♥♥ y a échappé)
- Un réalisateur ?
-Oui.
- Encore un ! Alain Resnais ? (Il a 89 ans…)
-Non, plus jeune… 70 ans
-Oh non, pas Claude Miller quand même ?!
-Si… »
Dans ses films, Claude Miller dévoilait à merveille la complexité des sentiments et rapports humains. Il excellait dans les duels psychologiques, comme avec La meilleure façon de marcher ou Garde à vue. Il s’est aussi attaché à démontrer les affres de l’enfance tourmentée et solitaire, à travers des films comme L’effrontée ou La classe de neige. A part le dernier, je les ai tous vus, et je les appréciais tous :
1976 : La Meilleure Façon de marcher
1977 : Dites-lui que je l'aime
1981 : Garde à vue
1983 : Mortelle randonnée
1985 : L'Effrontée
1988 : La Petite Voleuse
1992 : L'Accompagnatrice
1994 : Le Sourire
1998 : La Classe de neige
2001 : Betty Fisher et autres histoires
2003 : La Petite Lili
2007 : Un secret
2009 : Je suis heureux que ma mère soit vivante
2011 : Voyez comme ils dansent
2012 : Thérèse D
Son premier long métrage est un de mes préférés, une vraie claque quand je l’ai découvert. Dans une colonie de vacances des années 60, un moniteur, Patrick Dewaere♥♥♥, surprend un collègue (Patrick Bouchitey) déguisé en femme. Dès lors, détenteur du secret qui lui accorde un moyen de pression et de supériorité, mais également troublé, il n’a de cesse de provoquer et d’humilier son collègue. Ce dernier est fiancé à la délicate Christine Pascal (qui comme Dewaere s’est suicidée). Un film perturbant, la scène du bal est d’anthologie. La meilleure façon de marcher est programmé ce soir à 20h30 sur France 2, ne le ratez pas.
J’apprécie beaucoup le deuxième film du cinéaste, qui n’a cependant pas trouvé le succès. Il est adapté de Patricia Highsmith (L’inconnu du Nord Express, Plein soleil). Gérard Depardieu y incarne un homme qui sombre par dépit amoureux dans la folie meurtrière. J’ai découvert Dites-lui que je l’aime alors que j’étudiais les chapitres de la passion et du désir en philosophie, et je trouve que le film en est une bonne illustration.
Avec Garde à vue, Miller reçoit à la fois un succès critique et public, et une foule de récompenses (césar du meilleur scénario, meilleur acteur pour Serrault). Deux grands du cinéma s’affrontent en huis clos le soir du 31 décembre : Lino Ventura le commissaire, tentant de faire avouer Michel Serrault le supposé meurtrier, pendant que la femme de ce dernier, Romy Schneider, l’attend… Arte le diffuse ce soir.
Dans Mortelle randonnée, Michel Serrault interprète un détective qui a perdu la trace de sa fille (emmenée par son épouse). Il se prend d’affection pour une meurtrière (Isabelle Adjani) qu’il suit dans son périple et protège, comme si elle était sa propre fille… A noter que Serrault et Audiard le scénariste ont tous deux perdu un enfant dans des accidents de voiture avant le tournage (la fille de Serrault, à 19 ans, en 1977, et le fils d’Audiard en 75 –son deuxième fils n’est autre que le réalisateur d’Un prophète.) Paris première diffuse Mortelle randonnée à 22h40.
Miller poursuit son exploration des tourments de l’âme avec ce magnifique portrait d’adolescente, qui a marqué nombre d’entre nous : L’effrontée, lançant la carrière de Charlotte Gainsbourg. Une fille un peu sauvage, à part, s’ennuie dans sa campagne. Elle découvre un monde de rêve avec une belle pianiste de son âge en vacances dans la région. Elle imagine que sa nouvelle « meilleure amie » va la sauver de sa condition et l’emporter loin…
Avec La petite voleuse, on retrouve Charlotte Gainsbourg dans un personnage de campagnarde tout aussi effronté et voulant s’émanciper. Cette fois-ci, l’adolescente rebelle devient femme.
Romane Bohringer remplace Charlotte Gainsbourg dans le rôle de la fille idéalisant une amie, et confrontée à un monde différent. Dans L’accompagnatrice, pendant la seconde guerre mondiale, une pianiste timide suit une célèbre cantatrice dans son exil londonien.
Le sourire est un film mineur dans la carrière de Claude Miller, mais les éternels rapports ambigus s’y retrouvent, entre Richard Bohringer et Jean-Pierre Marielle♥♥♥ attiré par la troublante Emmanuelle Seigner.
Avec La classe de neige, adapté du roman d’Emmanuel Carrère (D’autres vies que la mienne, L'adversaire) le réalisateur dépeint encore un jeune tourmenté qui se plaît à raconter ses pensées sombres à son meilleur ami...
Dans Betty Fisher, cette fois-ci trois femmes adultes s’affrontent : une modeste serveuse (Mathilde Seigner), une écrivain talentueuse (Sandrine Kiberlain). La mère de cette dernière va provoquer la rencontre de ces univers différents, à travers le destin tragique de leurs enfants… TV5 monde le programme lundi.
Dans La petite Lili, librement inspirée de La mouette de Tchekhov, un jeune homme naïf qui rêve de devenir cinéaste (Robinson Stevenin) s’éprend d’une belle jeune fille de son âge, (Ludivine Sagnier). Mais l’ambitieuse prend à la place dans ses filets un cinéaste reconnu et plus âgé, Bernard Giraudeau♥♥♥. 5 ans plus tard, devenue célèbre, la jeune femme apprend que son ancien amoureux transi est enfin réalisateur et tourne un film inspiré de leur histoire, où il révèle la vraie personnalité de l’actrice… Un drame sentimental sur l’ambition, les rêves et illusions perdues…
Claude Miller livre encore un film bouleversant avec Un secret, tiré du livre autobiographique de Philippe Grimbert (qui est devenu psychanalyste, on comprend pourquoi il a eu besoin d’explorer l’âme humaine, après le terrible secret de famille qu’il a découvert). Si vous ne connaissez pas l’histoire, je ne veux rien vous en révéler pour ne pas gâcher l’émotion qui ne manquera pas de vous submerger.
Je suis heureux que ma mère soit vivante met encore en scène un adolescent mal dans sa peau. Il part à la recherche de sa mère qui l’a abandonné. Le film est adapté d’un faits-divers relaté par Emmanuel Carrère. Nouvelle révélation, Vincent Rottiers et son regard bleu acier, nommé mais qui ne remportera pas comme Charlotte Gainsbourg le césar du meilleur espoir. France 3 le programme ce soir à 22h45.
Je n’ai pas vu encore Voyez comme ils dansent, et le dernier film de Claude Miller sortira en octobre, il s’inspire du célèbre roman de François Mauriac, Thérèse Desqueyroux, avec Audrey Tautou dans le rôle titre.
Encore une grande figure du cinéma français qui s’en va…
Et vous, quel est le film de Claude Miller que vous préférez ?
16:37 Publié dans La rubrique nécrologique, On connaît le film | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : claude miller, télé, cinéma français | | Facebook