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10/10/2018

Avec Aznavour, je me voyais déjà...

aznavour.jpgJ'avais démarré un texte plus classique avec biographie, mais comme vous avez dû voir les 2789 reportages qui répètent la même chose, inutile d'en rajouter une couche.
L'artiste apparaissait encore récemment à la télé, arborant un étonnant blouson de jeune rebelle comme l'homme à la moto ("avec un aigle sur le dos") ou le personnage de Drive :
"Comment vous voyez-vous à 100 ans ?
- Vivant d'abord bien sûr ! Je me vois comme maintenant.
- Fringant, sur scène...
- Oui ça je suis toujours fringant, c'est vrai, mais il n'y a aucune raison de changer."

Et pourtant, Aznavour est décédé 2 jours après.
Et pourtant, et pourtant
Sans un remords, sans un regret je partirai

Une amie journaliste me révélait que des confrères ayant rédigé la rubrique nécrologique d'Aznavour des dizaines d'années auparavant ont rendu l'âme avant lui. Ce type d'article est souvent écrit à l'avance pour les futures morts les plus probables, afin que les médias publient dès l'annonce du décès. Donc pas comme mémé train de retard quand elle finit le boulot (j'ai bien tenté d'écrire discrètement sur mon lieu de travail le jour-même, mais mon texte a disparu avec le message quotidien "oups, désolé, mozilla a planté".)
Après avoir épuisé ses biographes, on pensait Aznavour immortel à l'instar de Serrault dans Le viager.
Et pourtant, et pourtant
Je marcherai vers d’autres cieux, d’autres pays

Pépé a tout de même vécu 94 ans. Il allait entamer une tournée, et justement je comptais prendre des places en me faisant la réflexion "il faudrait que je le voie sur scène avant qu'il ne soit trop tard".

Aznavour est mort dans son bain, comme la chanteuse Maurane en mai dernier, et comme Claude François. Trois chanteurs. Atteinte de chansonnite aiguë et star internationale, je me sens aussi visée. Moi qui déplorais de ne jamais avoir possédé de baignoire dans mes logements miteux, oh putain ce qu'il est blème, mon HLM, et de prendre un bain tous les 4 ans comme Hagar le viking, je suis finalement bien contente de n'avoir qu'une simple douche de 50 cm carrés, où je me cogne systématiquement contre le robinet en le poussant par inadvertance sur "brûlant comme l'enfer" ou "glacé comme le sourire de Mylène Farmer" ( mais a-t-elle déjà souri ?)
Une autopsie a été pratiqué sur Aznavour, si jamais il nous avait fait une Claude françoisite ou que quelqu'un l'avait assassiné (comme cet épisode remarquable de Faites entrer l'accusé où une femme jette un sèche-cheveux aux fils dénudés dans le bain de sa "meilleure amie" parce que cette dernière a plus de succès qu'elle en boîte de nuit).

Mais on n'est pas chez Hondelatte, la mort d'Aznavour est de cause naturelle. Les médias ont supposé que la famille allait se déchirer comme pour Jauni, car la fortune de la célébrité est estimée à 145 millions, une petite bagatelle. Ne comptez pas sur moi (cas de le dire, haha) pour vous faire le résumé, vous pouvez regarder BFM tout seul, c'est au-dessus de mes forces, je ne peux pousser l'investigation si loin, je ne suis pas reporter de guerre.

Je n'ai regardé aucune télé sur le sujet, juste parcouru quelques articles et l'incontournable wikipédia. J'ai noté que l'artiste a connu le succès tardivement, à 36 ans, ce qui m'a laissé l'espoir de connaître enfin le haut de l'affiche, jusqu'à ce que je me rende compte de mon âge réel qui est beaucoup plus avancé que mon âge mental ("je sais que c'est pas vrai mais j'ai 10 ans"). Ça m'a donné envie de relire cet article que j'avais écrit, l'un de ceux qui a connu le plus de succès, en attendant de renouer avec un jour :

Je me voyais déjà en haut de l'affiche
En dix fois plus gros que n'importe qui mon nom s'étalait
Je me voyais déjà adulé et riche
Signant mes photos aux admirateurs qui se bousculaient

 

04/10/2018

Aznavour emmené au pays des merveilles

aznavour.jpgJe ne sais trop que dire, ni par où commencer
Les souvenirs foisonnent, envahissent ma tête
Et mon passé revient du fond de sa défaite
Non je n'ai rien oublié, rien oublié...

... des chansons d'Aznavour que j'aimais.
J'ai découvert le chanteur à travers mon acolyte de toujours, Radio Nostalgie, qui me réveille depuis l'enfance. Mais mon principal souvenir lié à Aznavour reste celui-ci :

Le matin du premier jour du baccalauréat. Le bac. Événement que j'appréhende depuis l'école primaire, et qui a hanté les nuits de mon année de terminale, avec mes premières insomnies complètes sans fermer l’œil une minute. Le bac, cette abomination pour les élèves timides.
Je m'étais déjà allègrement plantée en français, alors qu'en série littéraire avec 18 de moyenne. Le médecin m'avait prescrit de l'euphythose, les comprimés contre le stress qui n'ont jamais fonctionné sur moi. Je me souviens en avoir pris 36. J'angoissais tellement que mon bras inondé de sueur était resté collé à la page de mon livre de français, qui gondolait. La prof compatissante ou qui devait me prendre pour une demeurée, me posait des questions de plus en plus simples, comme "qui sont les personnages ? " Cette attitude m'avait humiliée car je connaissais les réponses, mais elles refusaient de sortir. Mon bourreau m'a mis une note au pif, 6, ce qui devait correspondre à trois points par mots prononcés.
Et ce n'était que le bac français. Dénouement pathétique pour celui de terminale : je ne suis même même pas allée au rattrapage. Pour me punir, ma mère m'a exilée un an dans le trou perdu de la cambrousse, où j'étais (mal) vue comme la citadine. Je devais prendre tous les matins un car qui ne me ramenait chez moi que 10 interminables heures plus tard. Chaque matin, j'étais en retard (comme toujours aujourd'hui) et je courais après le bus scolaire.

Le premier jour du bac, je déroge à cette règle en étant à l'heure à l’arrêt du car. Je ne veux pas risquer de manquer l'épreuve de philo, la plus importante pour un littéraire, avec le quotient le plus élevé. Je ne veux pas encore rater mon bac et passer une année supplémentaire dans ce trou. Je veux rentrer à la fac pour enfin étudier la matière qui m'intéresse : le cinéma.
Pendant le trajet, la tension monte : "Il faut absolument que je le décroche cette fois". Les autres élèves ne paient pas de mine non plus. Une ambiance pesante s'installe, un silence inhabituel pour ce bus où règne normalement un joyeux brouhaha, les éclats de voix des élèves turbulents, et les remontrances du chauffeur. Pour une fois, les ados restent sages. Je me souviens des visages crispés, des regard perdus dans le vide ou agrippés aux feuilles de révisions, des yeux fermés comme en prière silencieuse "faites qu'on tombe sur les passions ou le désir comme sujet ! Faites que je l'aie !"

Soudain, le chauffeur interrompt les méditations silencieuses et met la radio. Les studieux penchés sur leurs notes lèvent le nez, l'air choqué : "Comment ! Je ne peux pas réviser dans ces conditions moi !"
Je suis surprise que le chauffeur ose interrompre le silence religieux, mais le flot des pensées négatives et stressantes s'interrompt lui aussi. Car je me mets à écouter les paroles.
La radio commence à diffuser Aznavour, Emmenez-moi.
Vers les docks, où le poids et l'ennui me courbent le dos
Ils arrivent, le ventre alourdi de fruits, les bateaux

Je fais le parallèle avec ma situation : l'ennui m'a courbé le dos toute ma scolarité. Je n'ai pas envie d'être ici, je subis la situation, le poids des exigences de la société qui estime que le bac est indispensable. Mon ventre gargouille, le peu que j'ai réussi à avaler me pèse sur l'estomac. D'ailleurs j'entends d'autres panses se manifester aussi. Lorsque je regarde mes camarades, je les remarque attentifs, le visage enfin éclairé : eux aussi écoutent attentivement la chanson :

azna 2.jpgIls viennent du bout du monde
Apportant avec eux des idées vagabondes
Aux reflets de ciel bleu, de mirages
Traînant un parfum poivré de pays inconnus
Et d'éternels étés où l'on vit presque nu
Sur les plages

Moi qui n'ai connu, toute ma vie
Que le ciel du nord
J'aimerais débarbouiller ce gris
En virant de bord

Mais oui ! Moi aussi je veux quitter ce bled pourri où il pleut tout le temps, je veux réussir mon bac pour enfin partir d'ici et réaliser mes rêves !
Cette pensée nous traverse tous. Un lycéen se met à chanter le refrain avec Aznavour :

Emmenez-moi au bout de la terre
On le regarde, étonné, amusé. Puis le chauffeur monte le volume de la radio, et chante à son tour. Il fait le geste d'un chef d'orchestre pour nous inciter à le suivre. Ça fonctionne. Un, deux, puis trois, puis tous les élèves se mettent à chanter le refrain en chœur :
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil

Au deuxième refrain, tous les lycéens, même les réfractaires qui souhaitaient réviser, chantent le plus fort possible, avec entrain, en se balançant de droite à gauche au rythme de la musique, bras-dessus bras-dessous avec son voisin. Certains se lèvent, habituellement le chauffeur s'époumone au moindre mouvement "restez tranquilles à vos places !" mais là il ne dit rien, ou plutôt il continue à chanter Emmenez-moi.
A la fin de la chanson, qui correspond à l'arrivée au lycée où l'on va passer notre bac, tout le monde applaudit. On applaudit notre performance, et la prochaine qui va arriver dans quelques instants en passant l'épreuve de philo. A ce moment-là, je sais que grâce à Charles Aznavour et sa chanson Emmenez-moi, grâce à l'énergie et l'espoir que le chanteur m'a transmis, je vais réussir mon bac.
Merci Charles, tu as atteint le pays des merveilles aujourd'hui.