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29/10/2018

Soupçons, the staircase : l'incroyable série documentaire criminel qui a lancé le genre

soupcons.jpgJe m'en souviens comme si c'était hier, et pourtant, l'histoire remonte 15 ans en arrière… La découverte de cette série sur Canal +  m'avait laissée sous le choc. Elle était restée jusqu'à présent comme ma référence absolue en documentaire criminel. Soupçons est réalisé par le Français Jean-Xavier Lestrade, oscarisé pour Un coupable idéal

soupcons famille.jpgCette année, la suite est enfin sortie, sur Canal +, et désormais sur Netflix. Dès les premières notes de la sublime musique du générique (à écouter ici) mes poils se sont hérissés, je me suis immédiatement sentie replongée 15 ans dans le passé. J'étais très émue, surtout de revoir tous les protagonistes longtemps après, comme des membres de ma famille perdus de vue : les filles adolescentes devenues mères de famille, l'accusé transformé en vieillard par le poids de tout ce qu'il a vécu…

soupcons couple.jpgSoupçons suit le procès de l'écrivain Michael Peterson suspecté d'avoir tué sa femme. Après une soirée arrosée, il la trouve agonisante en bas des escaliers. Il appelle paniqué les secours, en pleurant, les suppliant de venir le plus vite possible (on entend à de nombreuses reprises l'appel, on voit les réactions des proches en l'écoutant, c'est très émouvant). Trop tard, la femme décède. Sûrement un simple accident, elle avait trop bu, consommé des somnifères, l’escalier est étroit et en colimaçon. Son époux n'a aucun mobile pour le meurtre et tout le monde peut témoigner que le couple s'adorait.

soupçons avocat.jpgLe réalisateur filme l'accusé, sa famille et son avocat, pendant deux ans, dès les prémices de l'affaire, et on peut voir que personne ne croit que l'histoire ira jusque devant les tribunaux, puisqu'elle ne tient pas la route. L'homme plein d'esprit et d'auto dérision ne cesse de prendre l'affaire à la légère, elle est si risible. Mais il oublie qu'il habite l'Amérique profonde, en Caroline du sud. C'est sans compter sur l'acharnement des policiers de la ville de Durham.
Peterson, rare progressiste dans cette commune, avait osé dénoncer dans le journal local la corruption de la police et les injustices qu'elle commettait. Ah on est injustes ? Eh bien il va en avoir pour son argent ! Eh oui, l'écrivain aisé, jalousé, se retrouve ruiné par un procès coûteux et fortement médiatisé. Il perd ses amis et toute vie sociale. Sa vie et celle de ses proches sont disséquées et détruites. Ses filles ne perdent pas seulement leur mère, mais risquent de perdre leur père que l'on veut emprisonner jusqu'à sa mort. Cet homme est jeté en pâture aux médias américains, vampires avides de sang.

Soupçons enchaîne les rebondissements qui paraîtraient grossiers dans un film. Mais comme toujours, la réalité dépasse la fiction, c'est pour cela que je préfère les documentaires et les biographies aux romans. Les policiers exhument des détails sordides : par exemple, en fouillant dans son ordinateur, ils découvrent que l'homme avait des penchants bisexuels. Sa femme et son entourage étaient parfaitement au courant, mais Oh mon dieu, quelle horreur pour cette Amérique puritaine ! C’est forcément le mobile du crime : la brave épouse a découvert le pot aux roses, et menacé de divorcer, c'est sûr !

soupcons peterson.jpgJe vous passe les autres péripéties, incroyables, pour maintenir le suspense. Soupçons n'est pas seulement une enquête, l'enjeu n'est pas simplement de savoir si l'accusé est coupable ou innocent.
Le documentaire montre les coulisses fascinantes d'un procès, comment on choisit les témoins, comment on présente les indices pour tourner les choses en sa faveur. Les manipulations et plaidoyers des avocats des deux parties sont des joutes verbales absolument passionnantes, comme dans le film La vérité de Clouzot (qui s’inspirait également d’une réelle affaire, celle de Pauline Dubuisson, décrite par Philippe Jaenada dans La petite femelle, devenu depuis mon livre de chevet.)
Soupçons ne retrace pas seulement une simple affaire criminelle et ses conséquences sur les proches de la victime et de l'accusé, c'est l'état de l'Amérique toute entière qui est décrit, où des populations fort dissemblables se côtoient sans se connaître et comprendre.
Je pourrais résumer grossièrement l'effet que me donne cette affaire comme : les gentils intelligents cultivés mesurés contre les méchantes brutes incultes hystériques : la tête du procureur et de son adjointe vociférants, le regard plein de haine, le sourire sadique, se délectant de la souffrance d'autrui en énumérant avec délice les soi-disant sévices subis par l'épouse, et le prétendu horrible pervers qu'est le sensible accusé, ce n'est pas possible, faites les taire, qu'ils fassent un autre métier où ils ne pourront plus nuire, je sais pas, trier des endives dans une pièce obscure sans contact avec personne, ce serait bien par exemple ?

L'affaire est davantage filmée du point de vue de l'écrivain. Même si le réalisateur se défend de tout commentaire et donne également la parole à l'accusation, on sent évidemment son empathie pour l'écrivain et ses proches. D'ailleurs, pour prouver cette compassion, sa monteuse a fini en couple avec l'accusé !
L'affaire l'a tellement marquée que depuis, Jean-Xavier de Lestrade ne souhaite plus réaliser de documentaires. Décision navrante, mais il a ouvert une porte : grâce au succès de Soupçons, les fabuleux The keepers et Making a murderer ont pu exister. Je vous en parle prochainement…