11/08/2019
Robin Williams, 5 ans déjà
Texte initialement publié en août 2014.
Je reçois un sms : « Robin Williams est mort ! »
Habituellement j’apprends les tristes nouvelles par Twitter, mais là je suis dans mon trou perdu sans Internet. Je pense : « Mort de quoi ? Dans ce milieu, sûrement la drogue, le suicide… car il était jeune, 40 ans… » Puis l’angoisse m’étreint, j’ai un doute, je relis le message… Non, ce n’est pas possible, j’avais mal vu ! Ce n’est pas Robbie Williams qui est mort, mais Robin, l’acteur ! (je vérifie : certains internautes ont confondu les deux et rendu hommage au chanteur).
Trop tard, chansonnite aigue oblige, je garderai en boucle toute la journée les paroles de la chanson Feel de Robbie Williams, qui correspondent peut-être aussi à l’état de Robin. Mais je remplace malgré moi real love par "life" :
I just wanna feel
Real love feel the home that I live in
Cause I got too much life
Running through my veins
Going to waste
I don't wanna die
But I ain't keen on living either
Before I fall in love
I'm preparing to leave her
Scare myself to death That's why I keep on running
Before I've arrived I can see myself coming
Au marché, je croise les vieilles commères du coin, qui connaissent tout le monde et colportent tous les potins (on les surnomme « les baboles » dans mon patelin). L’une d’elles achète des fleurs (pour fleurir la tombe de Robin ?)
Elle me voit : « Te fais une de ces têtes ! » (elle espère sans doute un nouveau ragot, mais oui, je suis en deuil !!)
Moi, voix étranglée : - Robin Williams est mort !
Les vieilles, en chœur : - Qui dont ?
Ah, les péquenaudes ! Paysannes incultes, on voit que vous vous couchez à 20h comme les poules et que vous n’avez jamais regardé un film de votre vie ! (je rappelle que le seul film que ma grand-mère avait vu au cinéma était La vache et le prisonnier, en 1959…)
Moi : - Mais si, un grand acteur Américain…
- Oh ben moi l’Amérique, c’est loin ! (L’Amérique, l’Amérique, je veux pas l’avoir, et je l’aurai pas.)
Je passe vite mon chemin et retourne chez moi, voir la seule source d’information disponible : les journaux télévisés. Je peux donc regarder en boucle les mêmes extraits : de films (« Goooood Morning Vietnaaaaam ! ») Lorsque Robin Williams reçoit l’oscar du meilleur second rôle pour Will Hunting : « Je veux remercier mon père, là-haut. Quand je lui ai dit que je voulais être acteur, il a répondu : « magnifique. Apprends quand même un deuxième métier au cas où, comme soudeur »
Difficile de parler de Robin Williams sans donner des évidences : un grand acteur, capable de faire rire comme d’émouvoir. Un clown triste. Un homme trop sensible, qui restait un grand enfant (Hook où il incarnait Peter Pan).
Je tombe dans le travers de l’identifier à ses rôles oui, mais chaque acteur montre forcément une part de lui-même dans ses personnages. Je n’imaginerais pas les solides Robert de Niro ou Lino Ventura incarner Peter Pan ou Madame Doubtfire…
Le choc est encore plus terrible lorsque j’apprends que Robin Williams s’est suicidé. M’enfin ! Pourquoi ! Tout le monde l’aimait !
« Il était dépressif, accro à la drogue et à l’alcool ». Oui mais pourquoi ? Encore un cliché, mais j’imagine qu’il se sentait dépassé par son succès, que le public l’identifiait à ses rôles de gentil comique. Qu'il pensait ne pas mériter tant de marque d’affection, car évidemment, personne n’est tout noir ou tout blanc, il avait une face cachée, il n’était pas que le mec cool de service…
Je suppose qu’il ne supportait pas le décalage entre la vie idéalisée de ses films et la réalité, qu’il ne supportait plus la pression et surveillance des médias, la perte de son anonymat. Qu’il sentait que les gens projetaient et attendaient beaucoup de lui, et qu’il ne se sentait plus capable de supporter un poids si lourd…
Comme la plupart des comiques, son humour servait à masquer sa trop grande sensibilité, son anxiété. Robin Williams était paraît-il un homme profond, cultivé, généreux, sensible aux malheurs du monde, qu’il portait sur ses épaules.
Comme la plupart des célébrités, il devait être seul au fond, à penser que les gens le côtoyait uniquement pour la gloire et les avantages qu’il représentait, et non pour ce qu’il était réellement… J’ai toujours les paroles de Feel en tête :
I just wanna feel
Real love and the love ever after
There's a hole in my soul
You can see it in my face
It's a real big place
Come and hold my hand
I wanna contact the living
Not sure I understand
This role I've been given
Robin Williams sentait sa carrière péricliter, avec des rôles moins intéressants, plus espacés, ou répétitifs : son dernier grand succès est Will Hunting en 1997, pour lequel il a reçu son unique oscar (du meilleur second rôle) puis Photo obsession et Insomnia en 2002, deux films où il casse son image de gentil en incarnant des sociopathes. Il voyait la confiance des producteurs de cinéma, l’affection du public ou de ses proches s’éloigner. Mais aussi la vieillesse et son déclin arriver (il avait 63 ans et un début de Parkinson). Ce sont des poncifs, mais malheureusement ils sont souvent vrais. Les gens ne se suicident jamais pour une seule raison, et c’est parfois un événement paraissant mineur qui fait déborder le vase…
Peut-être s’identifiait-il trop à ses rôles… Comme dans Le roi pêcheur, qui recherche le Saint Graal puis le perd, où il prononce ce beau discours (voir en lien) : « C'est à toi que je vais confier le Saint Graal, afin qu'il puisse guérir le cœur de l'homme. Mais l'enfant était aveuglé par d'autres visions, le rêve d'une vie de pouvoir, de gloire et de beauté (...) Le jeune enfant grandit, et sa blessure grandit en même temps. Jusqu’au jour où il n’a plus de raison de vivre. Il n’a plus foi en l’homme, pas même en lui-même. Il ne peut aimer, ni se sentir aimé. Il est las de la vie ici-bas. Il se laisse mourir. »
On ne saura jamais vraiment pourquoi il a fait ça. Il laisse un vide immense.
Comme beaucoup, je l’ai adoré dans Le cercle des poètes disparus, où il incarne le prof qu’on aimerait tous avoir. Comme j’aurais aimé qu’un prof me dise : « À présent dans cette classe, vous apprendrez à penser par vous-même, vous apprendrez à savourer les mots et le langage ! » Proche de ses élèves, compréhensifs, il les encourage à développer leurs capacités, sans se soucier du conformisme : "Je ne vis pas pour être un esclave mais le souverain de mon existence." « C’est dans ses rêves que l’homme trouve la liberté. Cela fut, est et restera la vérité. »
Son personnage dans Will Hunting est assez proche : cette fois-ci, un psychologue qui guide un jeune homme tourmenté, surdoué qui se trompe de chemin. (Matt Damon, auteur du scénario avec son ami Ben Affleck, pour lequel ils recevront un oscar).
Robin Williams interprétait souvent des rôles proches du monde de l'enfance : Madame Doubtfire, où il se déguise en vieille nourrice pour voir ses gosses dont il n’a plus la garde. Jumanji, où il est prisonnier d’un jeu dont des enfants le libèrent (Kirsten Dunst, à 13 ans). L’acteur incarnait souvent de grands gamins : Hook de Steven Spielberg, où il joue Peter Pan. Jack de Coppola, un enfant dans un corps d’adulte. Le baron de Munchausen de Terry Gilliam, où il est le roi de la lune. J’aime aussi Robin Williams dans ses rôles de rêveur décalé , comme dans Le monde selon Garp, où il est écrivain.
Avec la littérature, l’enfance, l’imagination ; la dépression était un thème récurrent de son œuvre : Au-delà de nos rêves, adapté d’une nouvelle de Richard Matheson, où il plonge en enfer pour sortir sa femme coincée par la dépression. Le roi pêcheur, où il interprète encore un prof de lettres, qui a sombré dans la folie et vit dans un monde imaginaire depuis la mort de sa femme. Docteur Patch, inspiré de l’histoire vraie d’un docteur sorti d’une dépression grâce au rire…
Dépression qui aura raison de Robin Williams, lundi 11 août 2014. Il restera éternellement l’homme qui nous a fait rire, émus, et encouragé à croire en nos rêves : « Peu importe ce qu’on pourra vous dire, les mots et les idées peuvent changer le monde ». Les films et les acteurs aussi.
15:33 Publié dans La rubrique nécrologique, On connaît le film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : robin williams, cinéma américain | | Facebook
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