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19/07/2015

Sorcerer, le convoi de la peur de William Friedkin

sorcerer.jpgLe titre vous rappelle quelque chose ? Normal, c’est le remake du film de Clouzot, Le salaire de la peur. Le nom du réalisateur vous est familier ? Encore normal, c’est lui qui a signé l’un des films d’horreur les plus terrifiants (si ce n’est « le ») : L’exorciste. Il a « commis » dernièrement le non moins malsain Killer Joe avec Matthew McConaughey et la scène du « pilon de poulet ».  Dans le même genre dérangeant, il a également réalisé l'excellent Bug.
Bref, si vous en doutiez encore, William Friedkin est maître dans l’art de jouer avec les nerfs du spectateur. Angoisse renforcée par la musique de Tangerine dream. Et le maître pense que Sorcerer « en dépit de tous les problèmes, dépassements de budget, égos maltraités et amitiés brisées, je considérais, et considère encore, que Sorcerer est le meilleur film que j’ai réalisé » .
Je cite le dossier de presse, j'étais invitée à interviewer le cinéaste, mais la rencontre avait lieu le soir du concert de McCartney...Voir bande annonce en lien.

sorcerer persos.jpgDans Sorcerer, trois hommes qui ne se connaissent pas, des fugitifs, fauchés et désespérés, se terrent dans un infâme bidonville au fin fond de l’Amérique du Sud. Ils ont fui leurs pays respectifs pour des motifs divers : Manzon (Bruno Cremer) banquier français, a perdu l’argent de son beau-père dans un placement frauduleux. Kassem (Amidou) terroriste arabe, est recherché par la police israélienne suite à un attentat à Jérusalem. Scanlon (Roy Scheider) chauffeur d’un gang américain, est poursuivi par des mafieux après un casse. Ils trouvent l’occasion de se racheter dans une mission hautement périlleuse : afin d’éteindre un incendie dans des puits de pétrole, et permettre ainsi à la population de pouvoir retravailler et survivre, ils conduisent deux camions contenant des caisses de nitroglycérine. Ceci sur 300 km, à travers la jungle, des pluies torrentielles et un danger de mort omniprésent… Bref, l’enfer.

Le film est une métaphore de la condition humaine : trouver un moyen de travailler ensemble ou bien disparaître. Une idée qui se concrétise par le choix de protagonistes aux nationalités et motivations différentes. Comme l’explique le réalisateur, « les personnages sont des hommes brisés qui ne partagent que leur volonté de survivre face aux affres du destin. »

Sorcerer est le nom du camion conduit par Bruno Cremer. Le titre fait référence à L’exorciste, mais aussi à l’album de Miles Davis que le réalisateur écoutait à l’époque.
Le film sort initialement en 1977. Grâce aux immenses succès de L’exorciste puis de French connection, Friedkin est libre et obtient ce qu’il désire de la part des studios. Mais il se heurte à une série de problèmes et un injuste échec commercial, qu’on espère rétabli aujourd’hui pour cette seconde sortie :
Le rôle-titre tenu par Roy Scheider devait être attribué à Steve McQueen. Ce dernier venait de se marier avec sa partenaire de Guet-apens, Ali MacGraw (Love story), qu’il tenait à garder à portée de main. Faute de rôle féminin dans Sorcerer, il avait proposé à Friedkin qu’elle devienne productrice exécutive. Mais « comme un imbécile, j’ai refusé. Je ne savais pas à l’époque qu’un gros plan de Steve McQueen vaut plus que les plus beaux paysages de la planète. »
Le reste du casting initial, conditionné par la présence de la star américaine, s’écroule tel un château de cartes : Marcello Mastroianni et Lino Ventura. Le cinéaste embauche des acteurs moins connus qui attirent moins les foules, malgré l’excellence de leur jeu.

sorcerer jungle.pngLe tournage, sur 5 pays et 4 continents, ne se passe pas sans heurts. En république dominicaine, la moitié des membres de l’équipe tombent malades, victimes d’intoxication alimentaire, de gangrène ou de malaria. Friedkin doit aussi se séparer du jour au lendemain d’une partie de ses coéquipiers, coupable de consommer des drogues.
Bruno Cremer expliquait : «  le tournage a duré 1 an, dans des conditions épouvantables. 6 mois dans la jungle, en décors naturels, les techniciens ont même demandé aux ouvriers locaux de construire un barrage à cause d’une crue qui finalement n’a pas eu lieu ! Friedkin était dans un état second, il parlait souvent des peintures de Francis Bacon, et dirigeait son équipe dans un silence de mort ! Ce film représentait quelque chose pour lui, une sorte d’expérience existentielle. Dès que l’hélicoptère de Friedkin se pointait, les techniciens se taisaient subitement… le maître arrivait ! Et si l’un d’eux foirait un truc, il était renvoyé le soir même ! »

Sorcerer devait coûter initialement 2,5 millions, mais à cause de tous ces inconvénients, il en nécessitera quatre fois plus. Lors de sa première sortie en 1977, il remporte 6 millions de dollars au box-office, quand il en fallait 40 pour rentrer dans les frais.
Selon Peter Biskind qui a écrit le livre culte Le nouvel Hollywood, l’échec de Sorcerer est dû à la sortie simultanée de Star Wars. Avec son tournage principalement en studio et son histoire fantaisiste, le film de George Lucas s’oppose à la rigueur documentaire de Friedkin,  et sonne le glas des tournages en conditions réelles, comme l’est Sorcerer ou Apocalypse now de Coppola.
Pour économiser, les deux studios Universal et Paramount qui ont investi dans le film, en retirent 30 minutes pour la sortie internationale. Ils enlèvent le prologue, qui explique comment les protagonistes en sont arrivés là. Ce qui est justement selon moi la partie la plus intéressante ! Elle n’existe pas dans le film originel, Le salaire de la peur. Elle permet de mieux comprendre les motivations et caractères des personnages.
Dès les premières minutes, on remarque le talent de metteur en scène de Friedkin : découpage serré, chaque plan à un sens. On le comprend lorsqu’il estime que Sorcerer : « est l’un de mes seuls films dont je ne toucherai pas une seule image ».

Aujourd'hui, avec cette seconde sortie, nous pouvons enfin bénéficier du director's cut. Espérons que cette fois-ci Sorcerer trouvera enfin le succès qu'il mérite.